1946. Début des trente glorieuses. Afin de soutenir l’essor économique national, la France accroît et diversifie sa production énergétique. L’extraction d’uranium débute en métropole pour satisfaire les besoins de l’industrie nucléaire. L’activité perdurera jusqu’en 2001, année de fermeture de la dernière mine dédiée à cet élément radioactif, en Haute-Vienne. Pendant 55 ans, ce sont 52 millions de tonnes de minerais exploitables, contenant 76 000 tonnes d’uranium, qui ont été sortis des 210 sites miniers uranifères en France. Une masse considérable, difficile à se représenter, et qui pourtant ne pèse pas lourd à côté des 170 millions de tonnes de roche qu’il aura fallu excaver avant d’atteindre les gisements convoités. Dits « stériles », ces matériaux sortis de Terre au préalable ont une teneur en matière radioactive trop faible pour les industriels. Mais ces restes de l’exploitation minière portent bien mal leur nom au vu de la nature des débats qu’ils déchainent encore aujourd’hui.
Jusqu’en 2009, sous réserve d’un accord préfectoral, les stériles uranifères pouvaient être utilisés comme remblais pour le terrassement préalable à la construction de bâtiments ou de routes. Une pratique à laquelle la circulaire Borloo — alors ministre de l’écologie et de l’énergie — a mis fin le 22 juillet de cette année-là. « Cette circulaire confiait également à l’IRSN [Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire] le recensement de tous les sites de stockage de stériles miniers, et aux anciens exploitants la charge d’effectuer des bilans environnementaux de ces stériles » relate Sophie Bretesché. Sociologue à IMT Atlantique, elle s’intéresse à la perception du risque perçu par les populations locales à l’égard de ces stocks de roche. Car si la circulaire Borloo interdisait « tout nouveau projet de valorisation des stériles issus d’anciennes mines d’uranium » c’est parce que les doutes sur leur dangerosité inquiétait certains experts et les populations depuis quelques années.
L’uranium présent naturellement dans la roche est l’isotope 238. Le sol d’une parcelle d’habitation peut en receler plusieurs kilos. L’eau de mer en contient quelques milligrammes par tonne. Fort heureusement, les rayonnements de l’uranium 238 ne sont pas très pénétrants. En revanche, cet isotope se désintègre naturellement en d’autres éléments radioactifs, parmi lesquels : l’uranium 234, le radium ou le radon. Ce dernier est particulièrement dangereux, mais également très fragile. Dans les territoires au sol granitique, connu pour contenir plus d’uranium, le radon produit par la roche souterraine se désintègre en remontant à la surface et ne présente que peu de risque. Mais pour les maisons construites sur des stériles réutilisés lors d’opérations de terrassement, les caves mal aérées et plus proches de la matière radioactive peuvent présenter des concentrations supérieures aux recommandations de l’IRSN.
Une question de perception
« Sur certains sites, les stériles vont donc être considérés comme des déchets radioactifs, alors que sur d’autres ils sont perçus comme du simple remblai » rapporte Sophie Bretesché. Ses recherches sur la perception des stériles sont essentiellement menées dans le cadre du projet Pollusols, lancé en 2015 pour une durée de 5 ans, et financé par la région Pays de la Loire. Il associe l’IMT, le CNRS, les universités de Nantes et d’Angers, le BRGM et l’Ifsttar pour étudier différentes sources de pollution, dont les sites miniers. L’un des premiers constats des scientifiques est la spécificité des territoires vis-à-vis de la question des stériles. « Sur la longue durée, il y a de fortes différences de perception de ces restes entre l’Ouest et le centre de la France » remarque la sociologue.
Dans le Limousin, la mobilisation des populations est ainsi beaucoup plus forte. La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) est intervenue pour faire des mesures et contester celles effectuées par Orano (anciennement Areva) et l’IRSN. La CRIIRAD met notamment en cause la méthodologie employée pour effectuer les mesures, comme la hauteur des capteurs par rapport au sol, ou les lieux de collecte des données. Ce débat technique a conduit des associations limousines à se mobiliser pour que les stériles soient classifiés par l’ANDRA comme des déchets nucléaires. « Dans l’Ouest en revanche, les mobilisations sont bien plus faibles, et les stériles ne sont pas autant liés à une condition de déchet nucléaire » compare Sophie Bretesché. Sur ces sites de l’Ouest métropolitain, les stériles sont placés à côté des sites miniers, et moins de contestations existent visant à les faire déplacer.