Quand chercheurs et publics ne ferment pas l’œil de la Nuit
Chaque année, la Nuit européenne des chercheurs permet aux scientifiques et aux curieux de se rencontrer dans plus de 200 villes en Europe. Sélectionné en mai dernier lors du dernier appel à projet H2020 MSCA-NIGHT-2018, le projet STORIES permettra au CCSTI La Rotonde de rejoindre le réseau national et de devenir coordinateur régional de cet événement dès septembre 2019. Dans le cadre de ce projet, Julie Fortin, chargée de projet pour la valorisation de la recherche à Mines Saint-Étienne, participe à la création de modèles de médiation favorisant la rencontre directe entre les chercheurs et le grand public. Une rencontre dont visiteurs comme chercheurs sortent grandis.
Qu’est-ce que la Nuit européenne des chercheurs ?
Julie Fortin : La Nuit européenne des chercheurs est organisée chaque année le dernier vendredi de septembre, de 18h à minuit, dans plus de 200 villes en Europe. Dans le cadre du programme H2020 Actions Marie Sklodowska-Curie consacré notamment à la valorisation des carrières des chercheurs, Mines Saint-Étienne et son CCSTI La Rotonde deviendront, à partir de l’édition 2019, coordinateurs de l’évènement sur la région Auvergne Rhône-Alpes et rejoindront les 13 CCSTI et universités françaises participants.
Le but de cet évènement est de proposer au grand public une rencontre directe avec les chercheurs, sans médiateurs ou intermédiaires. Chaque année, un thème est retenu collectivement : en 2018, par exemple, ce sera 1001 histoires. Les modèles de médiation choisis sont en lien avec la thématique de l’année. Chaque institution participante personnalise son évènement à sa façon, mais toutes doivent proposer un cadre convivial favorisant la proximité entre grand public et chercheur. L’idée est ainsi de favoriser des modèles intimistes… Il faut par exemple éviter les conférences, qui tiennent plus du monologue que de l’échange !
Quels modèles de médiation mettez-vous en place pour favoriser l’interaction entre chercheurs et grand public ?
JF : Nous mettons au point de nouveaux modèles de médiation pour la Nuit européenne des chercheurs, mais nous reprendrons également beaucoup d’idées que nous avions mises en place pour Ramène ta science, un évènement similaire avec des rencontres entre petits groupes de public et chercheurs qui a lieu chaque année à La Rotonde.
Par exemple, nous avons un modèle qui s’appelle « La valise du scientifique ». Le scientifique apporte plein d’objets dans une valise qui lui permettent de parler aux visiteurs de son domaine de recherche. Si je suis géologue par exemple, je peux emmener mes outils de terrain, comme un marteau, ou un échantillon qui vient de mon laboratoire. Le chercheur peut aussi amener des objets de l’ordre de l’anecdote, qui révèlent son quotidien en tant que chercheur ou même des choses plus personnelles, qui montrent comment est née sa passion des sciences, ou ses autres hobbies.
Nous avons aussi le modèle « Dessine ta science », où le scientifique fait ressortir des mots clés par le dessin, qui lui permettent de raconter son quotidien, son domaine de recherche… Encore une fois, le scientifique choisit ce qu’il veut faire partager. Certains modèles présentent des expériences, comme « Le Chariot du scientifique » où le public assiste à la réalisation d’une manipulation sortie du laboratoire, ou « J’expérimente ta science » où ce sont les visiteurs eux-mêmes qui se mettent dans la peau du chercheur pour collecter et traiter des données… Nous organisons aussi le « Science Xpress », des speed-dating entre chercheurs et groupe de visiteurs !
Ces modèles de médiation sont-ils une façon de déconstruire l’image impersonnelle que le grand public se fait des sciences et des scientifiques ?
JF : Oui, ces modèles de médiation qui favorisent l’échange et la proximité permettent d’introduire un aspect humain, de déconstruire le mythe du scientifique enfermé dans son laboratoire ! Aussi, il faut montrer qu’il n’y a pas que les chercheurs dans le domaine des sciences, mais également des techniciens, des ingénieurs de recherche… Tous sont représentés au sein de Mines Saint-Étienne. Pour la Nuit européenne des chercheurs, nous travaillons également avec des universités, d’autres écoles d’ingénieurs, une école d’art et de design, une école d’architecture, la Cité du design, un incubateur de start-up… Certains chercheurs en design montrent par exemple du développement de produit ou des démarches expérimentales. Nous faisons aussi appel à des étudiants qui présentent des projets réalisés dans le cadre de leur formation, et même à des start-up. Le but est de montrer leur démarche, de l’idée à la matérialisation du produit, ainsi que les liens entre monde de la recherche et les entreprises.
Pour la Nuit européenne des chercheurs, nous souhaitons aussi ajouter un espace européen. Nous accueillons déjà de nombreux chercheurs étrangers à Mines Saint-Étienne, et nous souhaitons montrer au grand public que la recherche scientifique est aussi faite de collaborations internationales !
Comment les chercheurs appréhendent-ils la rencontre avec le public ?
JF : Nous avons démarré le projet « Ramène ta science » avec un noyau dur de chercheurs déjà impliqués dans des projets de vulgarisation. Ces chercheurs étaient ravis et ont encouragé leurs collègues à participer ! D’autres nouveaux chercheurs se sont engagés après avoir apprécié l’expérience en tant que public. Nos doctorants sont aussi invités à participer lors de formations sur la communication et la vulgarisation scientifique.
Tous ces chercheurs participants sont dans une optique de partage, cela se sent et le public le leur rend bien ! Les visiteurs sont curieux et sont ravis de pouvoir communiquer avec des scientifiques. Les intervenants savent aussi que nous les aidons à se préparer avant l’évènement, nous ne les lâchons pas dans la fosse aux lions ! Ils sont suivis lors de rendez-vous individuels où nous les aidons à creuser les idées de médiation possible et à adapter leur niveau de vulgarisation à leur public.
Néanmoins, le pas de la simplification est parfois difficile à passer pour certains. Parfois, des chercheurs nous disent clairement préférer un public niveau lycée à des collégiens, et nous nous adaptons à ces demandes. Nous respectons la personnalité et les envies de chacun.
Que retiennent ensuite les chercheurs de cette expérience ?
JF : Les chercheurs rapportent que cette expérience leur donne des techniques d’interactivité à utiliser avec leurs étudiants. Mais, surtout, se prêter à l’exercice de la vulgarisation leur permet aussi de se rendre compte que tout ne peut pas être dit. Aussi, ils sont souvent si spécialisés que même entre scientifiques ils ne se comprennent pas forcément… Ils doivent donc bien cibler leur message ! Les chercheurs nous expliquent ainsi qu’expliquer le plus simplement et le plus rapidement possible leur domaine de recherche au public leur permettait de vérifier leur propre compréhension de certains concepts dans leur propre domaine de recherche. Sans compter que certaines questions du public, parfois naïves, leur permettent de voir certains problèmes sous un angle différent ! Évidemment, pas au point d’ouvrir de nouveaux champs de recherches, mais au moins d’ouvrir de nouveaux horizons…
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