Lever de rideau sur les controverses scientifiques
Marre des débats de société enflammés où chacun reste campé sur ses positions ? Et si la transposition d’une controverse en pièce de théâtre nous permettait de changer d’attitude et de perception afin de mieux comprendre les arguments de la partie adverse ? À travers la mise en théâtre d’une controverse réalisée par les acteurs mêmes de débats de société, Olivier Fournout et son équipe (Daniel Kaplan, Valérie Beaudouin, Pierre Ollier) explorent cette question complexe dans le cadre du projet FORCCAST. Chercheur en communication à Télécom ParisTech, Olivier Fournout répond à nos questions sur la genèse et l’étude sociologique de cette représentation théâtrale expérimentale, à découvrir ce dimanche 1er juillet dans les murs de l’école d’ingénieur parisienne.
Pourriez-vous nous expliquer ce projet de pièce de théâtre et ses objectifs ?
Olivier Fournout : Depuis 15 ans, nous travaillons à Télécom ParisTech avec Valérie Beaudouin sur une gamme de cours destinée aux étudiants où nous abordons les logiques sociales et les controverses scientifiques par le détour de la fiction, aussi bien par le théâtre que par la performance poétique, le court-métrage ou la création sonore. La nouveauté avec cette mise en théâtre de controverse, menée dans le cadre du projet ANR FORCCAST*, est que ce sont, non des étudiants, mais les acteurs mêmes de la controverse qui créeront collectivement les sketchs qui seront joués ce 1er juillet.
À travers deux sujets, « L’impact des pesticides agricoles sur la santé et la biodiversité » et « La technologie peut-elle répondre aux défis du changement climatique ? », associatifs, militants, membres de ministères, agriculteurs, chercheurs, start-upers ou financeurs de l’innovation s’essaieront à cette création collective de mise en fiction. Les deux sketchs, correspondant chacun à l’une des controverses, transposeront sur scène les disputes telles que ces acteurs les vivent dans la réalité. Pour nous, l’idée est d’étudier comment cette transposition fictionnelle et le détour par l’imaginaire permettent aux participants d’appréhender différemment la controverse, leur position et celle des autres, et si cette théâtralisation permet d’explorer de nouvelles voies, de créer de l’intercompréhension ou de l’empathie entre eux… La représentation, comme le débat avec le public qui la suivra et le processus créatif qui lui aura permis d’émerger, feront ainsi l’objet d’une étude sociologique.
Pensez-vous que la forme théâtrale permettra aux participants de mieux partager des prises de positions qui auraient normalement été rejetées a priori par certains publics ou interlocuteurs ?
OF : C’est une hypothèse de recherche. L’étude que nous allons mener nous permettra de l’explorer. En effet, nous n’obligeons pas les participants à jouer leur propre rôle : il sera intéressant de voir si certains choisissent justement de jouer d’autres positions que la leur, et d’observer ce que cela provoque chez eux. Aussi, s’ils jouent leur propre position, ce sera sans doute sous une forme différente, plus métaphorique, imagée, décalée.
La réponse du public sera elle aussi analysée. Comment va-t-il réagir aux sketchs ? Le débat qui suivra la représentation sera-t-il dur, ou plutôt empathique ? Le public rebondira-t-il sur l’imaginaire porté par les sketchs théâtraux ou les spectateurs resteront-ils sur leurs idées préconçues ?
Pour réaliser notre étude, l’ensemble du processus, les phases de création, la représentation finale et le débat avec le public, sera filmé et complété par des entretiens avec les participants et des questionnaires écrits. Les images récoltées seront également montées sous la forme d’un documentaire de 40 minutes, réalisé par Éric Mounier, qui reflétera l’ensemble de la démarche.
Comment se déroule le processus de création ?
OF : Notre méthodologie de travail est fondée sur un temps assez court : environ quinze heures pour un sketch de 20 à 25 minutes. Nous commençons tout d’abord par demander aux participants, en fonction de leur vécu de la controverse, un pitch en deux à trois lignes avec situation, enjeux et personnages. Ensuite, ils nous présentent un premier essai de sketch improvisé à partir du pitch, joué, incarné et en interaction, à partir duquel nous leur faisons des retours sur la clarté de l’ensemble, les marges de créativité et la représentativité des points de vue. Néanmoins, la règle est de ne jamais prendre la place de nos participants-créateurs ! Nous leur apportons un regard extérieur, mais les participants restent maîtres de leur histoire et de leurs personnages. Ce sont eux qui décident ce qu’ils prennent ou pas dans nos suggestions, nous ne devenons pas les metteurs en scène à leur place.
Laisser les participants maîtres de leur représentation est peut-être aussi plus intéressant d’un point de vue sociologique ?
OF : Complètement. Si la représentation finale venait de nous en tant qu’encadrants, cela refléterait notre imaginaire et non le leur. Évidemment, les sketchs ne sont pas un miroir fidèle de leur expérience de la controverse, puisque celle-ci y est transposée et fictionnalisée, mais néanmoins, cela vient d’eux, et c’est un point fondamental de notre méthodologie qui donne le pouvoir de co-création collective à des non professionnels de l’art, de la sociologie, du design et de la communication.
Aussi, ni les dialogues ni l’entièreté du sketch ne sont écrits. Même pendant la représentation finale, des choses échapperont sur scène. Mais cela viendra d’eux ! Cette spontanéité est un gage de valeur sociologique, mais également de qualité de représentation. Les comédiens amateurs sont souvent meilleurs lorsqu’ils improvisent que lorsqu’ils apprennent par cœur un texte ! C’est le génie de l’instant éphémère !
*Formation par la Cartographie de Controverses à l’Analyse des Sciences et des Techniques. Ce projet est financé par le programme ANR-11-IDEX-0005-02.
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