La 5G bouleversera-t-elle le marché des télécommunications ?
Attendue pour 2020 par la Commission européenne, la cinquième génération de téléphonie mobile (5G) devrait significativement augmenter les débits de données et amener de nouveaux usages. Mais l’ampleur des répercussions sur le marché des télécommunications et sur les services est encore difficile à évaluer, même pour les experts. Pour certains, la 5G ne sera qu’une évolution technologique de la 4G, au même titre que l’était la 4G par rapport à la 3G. Elle ne devrait alors pas entraîner de changement radical sur les positions des acteurs économiques en place. Pour d’autres, la 5G a le potentiel de rebattre complètement les cartes, en stimulant la création de nouvelles industries qui chambouleraient l’organisation des opérateurs historiques. Marc Bourreau nous éclaire sur ces deux futurs possibles. Économiste à Télécom ParisTech, il a notamment co-rédigé en mars dernier un rapport pour le Centre de régulation européen (Cerre) intitulé « Vers un déploiement efficace de la 5G en Europe : quelles sont les politiques et régulations nécessaires ? ».
Est-il d’ores et déjà possible de prédire ce que sera vraiment la 5G ?
Marc bourreau : La 5G est un futur mouvant. C’est une sorte de terme chapeau qui rassemble les évolutions techniques des technologies mobiles qui sont en cours. Les premières d’entre elles n’arriveront à maturité commercialement qu’en 2020, et elles évolueront encore après, de la même manière que la 4G évolue encore aujourd’hui. Au stade où nous sommes à présent, la 5G peut aller dans différentes directions. Mais nous pouvons déjà imaginer des scénarios probables à partir des prises de position des acteurs économiques et des régulateurs.
Voir la 5G comme une simple évolution de la 4G ne serait alors que l’un de ces scénarios ?
MB : Une partie de la 5G consiste à améliorer la 4G, en ayant recours à de nouvelles bandes de fréquence, en augmentant la densité d’antennes, en améliorant l’efficacité des technologies sans fil pour avoir de meilleurs débits… Une vision de la 5G peut donc être de la considérer comme une 4G améliorée, en effet. Mais c’est probablement le scénario de l’évolution la plus mineure possible. Dans cette hypothèse, le marché resterait dans une structure similaire, avec des opérateurs mobiles qui garderaient un modèle économique basé sur la vente d’abonnements 5G.
Dans ce scénario, les acteurs économiques ne seraient alors pas inquiétés ?
MB : Pas vraiment. Dans ce cadre-là les règlementations n’évolueraient pas énormément, ce qui n’imposerait pas d’adaptation majeure des acteurs historiques. Il se poserait peut-être des questions d’investissement pour les opérateurs, sur les antennes par exemple dont la densité serait amenée à augmenter. Il leur faudrait déterminer comment financer ces nouvelles infrastructures. Et puis il y aurait peut-être également des questions d’aménagement du territoire. S’il faut une grande densité d’antennes pour la 5G, cela signifie qu’elle se développera prioritairement dans les zones urbaines, où l’installation d’antennes pose moins de problème.
Quel scénario pourrait changer l’organisation du marché actuel des télécommunications mobiles ?
MB : À l’opposé du scénario de la simple évolution, il y a celui de la révolution profonde. Dans celui-ci, la 5G permet de répondre à des besoins d’industries particulières en termes de réseau. En économie, nous parlons de verticales industrielles. Les voitures connectées sont une verticale, l’e-santé également, ou encore les objets connectés. Tous ces secteurs peuvent développer de nouveaux services grâce à la 5G. Il s’agit d’une vraie révolution parce que ces verticales ont besoin d’un accès au réseau et aux infrastructures. Si un constructeur automobile développe une voiture autonome, il faut que celle-ci puisse recevoir et envoyer des données sur un réseau dédié. Il faudra donc un partage des antennes et des bandes passantes avec les opérateurs de téléphonie mobile.
À quel point ce scénario « révolution » modifiera le marché ?
MB : Les nouveaux entrants n’auront pas leur propre infrastructure, ce seront des opérateurs virtuels, par opposition aux opérateurs historiques. Ils devront probablement leur louer un accès. Cela implique que les opérateurs historiques devront changer leur modèle économique pour intégrer ce nouveau rôle. Dans ce scénario, les opérateurs déjà en place deviendraient plus des acteurs de réseau que des acteurs de service. Ce partage du réseau pourrait nécessiter une régulation afin d’aider les différents acteurs à négocier entre eux. Et comme chaque opérateur virtuel aura des besoins différents, la qualité de service ne sera pas la même pour chaque verticale. Il se posera alors inévitablement la question du maintien ou l’adaptation de la neutralité du net dans le contexte de la 5G.
Le scénario de la révolution, qui apportera plus de services, n’est-il pas le plus intéressant ?
MB : Certes, il promet d’utiliser toute la potentialité de la technologie pour faire de très nombreuses choses. Mais il comporte aussi des risques. Il peut déstabiliser les modèles économiques des opérateurs, et personne ne sait s’ils réussiront à s’adapter. Est-ce que les opérateurs historiques auront les moyens d’investir dans des infrastructures qui seront ensuite ouvertes à tous ? Une vision optimiste est de dire qu’en ouvrant les réseaux, les nombreux services créés vont générer de la valeur qui retombera en partie chez les opérateurs, ce qui leur permettra de financer le développement du réseau. Mais il ne faut pas négliger la possibilité un peu plus pessimiste d’une valeur qui retombera uniquement sur les nouveaux entrants. Si cela se produit, les opérateurs historiques ne pourront plus investir, les infrastructures ne seront pas largement déployées, et ce scénario d’une révolution ne pourra pas se réaliser.
Des deux scénarios « évolution » ou « révolution », y en a-t-il un plus probable que l’autre ?
MB : En réalité, il faut voir les deux scénarios comme une évolution dans le temps plus que comme un choix. Une fois la 5G lancée en 2020, il y aura une marge de développement. La technologie va évoluer à partir d’un terme ombrelle « 5G » qui rassemblera les briques technologiques de base. Après tout, chaque génération mobile comporte des évolutions que les consommateurs ne voient pas nécessairement. Il est probable que lorsque la technologie sera lancée commercialement, elle sera plutôt du côté du scénario d’une évolution par rapport à la 4G. La question c’est de savoir si elle ira ensuite vers le scénario plus ambitieux d’une révolution ou non.
Qu’est ce qui influera sur cet approfondissement du rôle de la 5G ?
MB : Le choix du scénario dépend aujourd’hui des choix de normalisation. Dire que la technologie est ceci ou cela peut faciliter ou au contraire limiter les transformations du marché. La normalisation est faite par les grands espaces économiques. Il y a des volontés de partenariat, comme par exemple entre l’Europe et la Corée, pour unifier les standards et aboutir à une 5G homogène. Mais il ne faut pas oublier que les différents espaces économiques peuvent aussi avoir des intérêts propres à rester sur une évolution ou plutôt aller vers une révolution.
Comment les intérêts de chaque espace économique entrent dans la balance ?
MB : Ces technologies ont un intérêt à la fois du point de vue industriel et du point de vue social. Selon la politique privilégiée par une zone économique, des choix peuvent être faits sur chacun de ces aspects. D’un point de vue industriel, une vision conservatrice visant à protéger les acteurs en place privilégiera une normalisation en leur faveur. À l’inverse, d’autres choix peuvent être effectués pour permettre à de nouveaux acteurs d’émerger, ce qui serait plutôt du côté du scénario « révolution ». D’un point de vue social, il faut s’intéresser à ce que souhaite le consommateur, si les nouveaux services créés justifient le risque de déstabiliser ceux qui sont actuellement proposés, etc.
Quelle est la place de chacun dans les prises de décision ?
MB : Le choix peut être décentralisé auprès des acteurs. Les opérateurs sont en discussion et négociation avec les acteurs des verticales. Je pense qu’il y a un intérêt à laisser faire ce processus pour qu’il amène à des expérimentations. La situation est semblable aux débuts du web mobile : personne ne savait ce qu’était une bonne application, un bon modèle économique… Dans le cas de la 5G, personne ne sait à quoi va ressembler la relation entre opérateurs mobiles et constructeurs automobiles par exemple. Donc il faut les laisser trouver leur terrain d’entente. Et derrière, le rôle de la politique publique est d’accompagner les expérimentations, de répondre aux erreurs de marché — mais uniquement s’il en apparait. La Commission européenne est là pour coordonner les acteurs, les accompagner dans leur transformation et soutenir les expérimentations. C’est typiquement le sens des projets de recherche du programme H2020 qui allient scientifiques et industriels pour réfléchir à des solutions.
Cet article fait partie de notre dossier 5G : la nouvelle génération mobile est déjà une réalité
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