Pour la 5G, l’objectif de la Commission européenne est clair : le réseau mobile nouvelle génération doit être disponible dans au moins une grande ville de chaque état membre d’ici 2020. Mais l’essor rapide de la 5G entraîne des questionnements sur les capacités des réseaux. Avec cette cinquième génération, l’arrivée sur smartphone des réalités virtuelle et augmentée, des vidéos en qualité 4K ou des jeux vidéo haute définition n’est plus qu’une question de temps. Il faut donc d’ores et déjà penser à la qualité de service, en particulier lors des pics de trafic de données, qui ne devront pas limiter les temps de chargement pour les utilisateurs.
L’optimisation des communications d’informations variées est donc un sujet crucial, en particulier pour les chercheurs, qui se retrouvent en première ligne face à ce défi. À Télécom ParisTech, Michèle Wigger explore les aspects théoriques de la transmission de l’information. L’un de ses sujets de recherche est notamment axé sur l’utilisation d’espaces de stockage distribués dans un réseau, par exemple dans des stations de bases variées ou dans les terminaux des fournisseurs d’accès internet — les « box ». « L’idée c’est de mettre des données dessus quand le trafic est faible, pendant la nuit par exemple, pour qu’elles soient plus facilement disponibles à l’utilisateur le lendemain soir pendant les pics d’utilisation du réseau » synthétise Michèle Wigger.
Des modèles statistiques ont en effet montré qu’il était possible de suivre la diffusion géographique d’une vidéo, et donc d’anticiper avec quelques heures d’avance où elle sera lue. Les travaux de la chercheuse permettraient alors de lisser l’utilisation des réseaux pour éviter la saturation. Mais Michèle Wigger ne s’intéresse qu’aux aspects théoriques derrière cette méthode de gestion des flux. Ses recherches se placent au niveau de la couche physique des réseaux, c’est à dire les constructions des signaux modulés à émettre par les antennes de façon à minimiser la bande passante utilisée.
Elle ajoute que ces communications assistées par mémoire cache peuvent également aller plus loin, en utilisant les données stockées non pas sur nos box, mais sur celles de nos voisins. « Si je veux envoyer un message à deux personnes qui sont à côté, il est bien plus pratique de distribuer l’information entre les deux plutôt que de répéter à chacune la même chose » illustre-t-elle. Pour approfondir cela, Michèle Wigger se penche sur des modulations de puissance qui permettent, avec un seul signal, d’envoyer des données différentes à deux destinataires — des voisins par exemple, pour contextualiser — qui pourront ensuite travailler de façon collaborative pour s’échanger les données. « Il faudrait donc moins de bande passante pour envoyer leurs données requises aux deux » conclue-t-elle.
Améliorer la coordination entre objets connectés pour les villes intelligentes
Au-delà de l’optimisation des communications par utilisation des mémoires caches, les recherches de Michèle Wigger portent plus généralement sur l’échange d’information entre agents communicants. Un des autres projets qu’elle développe concerne la coordination entre objets connectés. Toujours portée sur l’aspect théorique, elle illustre, au travers de l’exemple des transports intelligents, ses travaux en cours sur le degré maximal de coordination qu’il est possible de mettre en place entre deux entités communicantes. « Les voitures connectées veulent éviter les accidents. Mais ce qu’elles veulent vraiment faire pour cela, c’est se mettre d’accord » détaille-t-elle.
Or pour s’accorder, ces voitures doivent s’échanger des informations via les réseaux disponibles, qui dépendront peut-être des technologies utilisées par les constructeurs ou de l’environnement dans lequel elles se trouveront. En somme, les coordinations à mettre en place ne se feront pas toujours de la même façon, car le réseau disponible n’aura pas toujours la même qualité. « Je cherche donc à trouver les limites de coordination possibles selon que j’ai à disposition un réseau faible, voire inexistant, ou un réseau très puissant » pointe Michèle Wigger.
La problématique est quelque peu similaire dans le cas des capteurs reliés à l’internet des objets et visant à aider à la prise de décision. L’exemple des bâtiments soumis à des risques tels que les avalanches, les tremblements de terre ou les tsunamis est typique. Des instruments de mesure de la température, des vibrations, du bruit et d’autres paramètres divers assurent une collecte de données transmises à des centres de décision qui alerteront ou non. Souvent, les informations communiquées sont liées, car les capteurs sont proches, ou parce que les informations sont corrélées.
Dans ce cas, il est important de différencier l’information utile de l’information répétée, qui n’ajoute que peu de valeur mais demande des ressources pour être traitée tout de même. « L’enjeu est de coordonner les capteurs pour qu’ils transmettent l’information minimale avec la plus faible probabilité d’erreur possible » problématise Michèle Wigger. Le but in fine étant de faciliter la prise de décision.
Quatre axes, quatre doctorants
C’est à la fois l’aspect prometteur de ses recherches et leur qualité qui ont été récompensés au mois de septembre par une bourse Starting grant du Conseil de recherche européen (ERC). La dotation de 1,5 millions d’euros sur cinq ans permettra à Michèle Wigger d’approfondir en tout quatre axes de recherche, tous liés de près ou de loin aux questions d’amélioration du partage d’information pour optimiser les communications.
Grâce au financement de l’ERC, elle compte doubler son équipe au laboratoire de traitement et communication de l’information (UMR CNRS et Télécom ParisTech) qu’elle portera à quatre nouveaux doctorants et deux post-doctorants. Elle pourra ainsi attribuer chacun de ses axes à un étudiant de thèse. En plus d’un effectif accru, Michèle Wigger compte développer des partenariats. Pour le premier sujet bordé ici — celui des communications assistées par mémoire cache — elle prévoit une collaboration avec la plateforme Cortexlab de l’Insa Lyon. Elle lui permettra de mettre ses constructions de codes à l’épreuve. En confrontant la théorie aux résultats expérimentaux, elle pourra alors poursuivre plus loin ses travaux.