Dans l’espace public, on la préfère discrète, masquée à coups d’antitranspirant, de déodorant, ou de parfum. Notre sueur est néanmoins porteuse d’indices précieux sur notre état physiologique – ions, métabolites, hormones – et les professionnels de santé y voient de plus en plus un vecteur de données physiologiques accessibles et fiables. De sécrétion jugée socialement gênante, notre humidité corporelle devient un fluide précieux pour le diagnostic et le suivi in situ en temps réel. Mais comment collecter efficacement et « à la source » ces gouttes éphémères, et les transformer en données exploitables ?
Cette question est précisément au cœur d’un article paru cette année dans npj Flexible Electronics (portfolio de la revue Nature), cosigné par Esma Ismailova, chercheuse à Mines Saint-Étienne. Ce travail s’inscrit dans le prolongement de recherches menées au cours d’un projet européen, BORGES (Biosensing with ORGanic ElectronicS), portant sur le développement de capteurs électroniques organiques peu invasifs pour l’analyse de biofluides. L’article de npj Flexible Electronics se concentre plus spécifiquement sur la collecte et l’analyse de la sueur… grâce au textile.
L’étude portée par Mines Saint‑Étienne met ainsi en lumière le développement d’un système de canaux microscopiques imprimés en 3D directement dans des textiles, capables de guider la sueur depuis la peau jusqu’à un capteur intégré. À la clé : un dispositif portable intelligent, compatible avec la peau et les mouvements d’un vêtement, pour un échantillonnage continu, réaliste et précis.
La sueur, un biofluide qui nous échappe
Alors que la plupart des diagnostics s’appuient toujours sur des prélèvements sanguins, robustes mais invasifs, encadrés par des protocoles hospitaliers contraignants, la sueur offre un accès direct à de nombreux bioindicateurs. « La sudation est un phénomène naturel », rappelle Esma Ismailova, spécialisée dans les sciences des matériaux et les interfaces humain-machine. Avec l’essor des biocapteurs, facilitant les mesures en temps et en situation réels, la sueur apparaît donc comme une matrice idéale pour surveiller l’état physiologique en continu. Mais la collecter est plus complexe qu’il n’y parait car elle est produite en faible quantité et s’évapore vite.
Des solutions existent mais sont peu satisfaisantes. En hôpital, la sueur est collectée via un morceau de papier filtre ou de gaze, ou dans un boitier plastique en forme de bobine. Des patchs cutanés adhésifs, appliqués directement sur la peau, sont plus portables et pratiques, mais se décollent facilement avec l’humidité et nécessitent de fait des colles agressives, générant inconfort et irritations. « Il y a donc un vrai obstacle technique à contourner pour récupérer la sudation de manière ergonomique, portable, et précise », insiste Esma Ismailova.
Un système microfluidique à la verticale
Face à ce défi, la chercheuse et son équipe misent sur un support universel : le vêtement. « Tout le monde porte des vêtements ! », soulève-t-elle. « Le textile est fait pour absorber l’humidité cutanée et l’évacuer de notre corps ». Les scientifiques tirent ainsi parti des propriétés naturelles d’absorption des vêtements pour développer un système textile intelligent qui, au lieu de dissiper l’humidité dans l’air, intègre des canaux microfluidiques pour la guider vers un biocapteur. Ces microcanaux sont obtenus grâce à l’impression par stéréolithographie (SLA) 3D de barrières imperméables en résine flexible, directement dans les fibres, permettant à la sueur de circuler dans les zones non-imprimées.