Face à l’urgence de la transition énergétique, l’Union européenne a lancé le Pacte vert pour l’Europe, un cadre législatif ambitieux visant la neutralité carbone d’ici 2050. L’une de ses mesures emblématiques est l’interdiction progressive du chauffage au fioul – un enjeu majeur pour les 15 millions de foyers encore concernés en Autriche, Allemagne, Belgique, France, Espagne ou Grèce. La France, par exemple, interdit depuis juillet 2022 l’installation de nouvelles chaudières au fioul, tout en incitant financièrement les particuliers à passer aux énergies renouvelables. L’Autriche suit une trajectoire similaire, avec un objectif de suppression complète des installations existantes.
Sebastian Rigger, ingénieur en mécanique et cofondateur de Joulzen, précise : « En Autriche, on ne peut plus installer de chaudières au fioul, et celles qui ont plus de 25 ans doivent être mises hors service immédiatement – ou, au plus tard, en 2035. » Avec ses associés Florian, Christoph et Stefan – rencontrés lors d’un cours d’entrepreneuriat à la TU Wien – il identifie un potentiel sous-exploité : pourquoi ne pas réutiliser ces anciennes citernes résidentielles plutôt que de les jeter ? C’est le point de départ de Joulzen : transformer ces contenants massifs et obsolètes en batteries thermiques intelligentes et efficaces.
Réutiliser les citernes à fioul pour stocker la chaleur
Au cœur de l’innovation de Joulzen : un kit technique permettant aux installateurs de reconfigurer rapidement les citernes là où elles se trouvent – dans les sous-sols, les buanderies, voire enterrées dans le jardin. « Pour faire simple, cela se présente sous la forme de deux armoires : l’une gère les pompes et les vannes, l’autre pilote le système intelligent. Le tout doit être facile et intuitif à utiliser », explique Sebastian Rigger.
Le principe est simple : un échangeur de chaleur convertit l’électricité – en particulier lorsqu’elle est bon marché ou excédentaire – en chaleur, stockée sous forme d’eau chaude dans la citerne. Plutôt que de chauffer toute la cuve uniformément, l’eau est maintenue à différents gradients de température : plus chaude en haut, plus froide en bas. Ce principe permet de puiser exactement la quantité d’énergie nécessaire au chauffage ou à la production d’eau chaude à tout moment. « Si vous chauffez 5 000 litres à 70 °C, cela demande beaucoup d’énergie. Mais en ne chauffant que les couches supérieures, on optimise la quantité disponible en fonction des besoins réels et prévisibles », développe Sebastian Rigger.
Cette approche limite aussi les pertes de chaleur. La chaleur stockée étant utilisée sous 24 à 72 heures, elle a peu de temps pour se dissiper. Les matériaux et l’emplacement jouent également un rôle : la plupart des citernes sont en acier ou en polyéthylène haute densité, avec une isolation renforcée. « En Autriche, la majorité des citernes sont situées en intérieur, ce qui réduit les écarts de température avec leur environnement et donc les pertes. Celles enterrées bénéficient aussi de l’isolation naturelle du sol et d’une couche isolante interne en plus », ajoute l’ingénieur.
Contrôle intelligent : prédire et optimiser la consommation
À cette brique matérielle s’ajoute une brique logicielle centrale dans l’approche de Joulzen : un système de contrôle prédictif avancé (MPC). Celui-ci croise plusieurs paramètres – prix du marché de l’énergie, ensoleillement, précipitations, températures extérieures, historiques de consommation – pour anticiper les besoins de chauffage. « Notre MPC prévoit la consommation sur 48 à 72 heures, avec une efficacité 30 à 50 % supérieure aux systèmes classiques », souligne Sebastian Rigger.
Mieux encore, ce système sait s’adapter en cas de production excédentaire d’électricité renouvelable. « Nous pouvons augmenter temporairement la température de l’eau pour stocker le surplus d’énergie renouvelable lorsqu’elle est abondante et bon marché – ou même lorsque les prix sont négatifs – et libérer cette chaleur stockée exactement quand on en a besoin », explique l’entrepreneur. Cette flexibilité renforce à la fois la stabilité du réseau et les économies pour les foyers.
Elle ouvre également la voie à de nouveaux modèles commerciaux. Dans les logements collectifs, où le partage des décisions et la vétusté des infrastructures retardent souvent les rénovations énergétiques, Joulzen apporte sa solution de « chauffage en tant que service » (en référence au modèle du « logiciel en tant que service », SaaS). « Les copropriétaires tendent généralement à ne pas se mettre d’accord sur les investissements à réaliser dans les parties communes », fait remarquer Sebastian Rigger. « Nous pourrions donc aller sur place, proposer notre système gratuitement, et en retour, prendre un pourcentage sur les économies réalisées. » Cette formule permet aux résidents de bénéficier d’un meilleur chauffage sans frais initiaux, tandis que Joulzen récupère son investissement grâce aux économies d’énergie partagées.
Stabiliser le réseau et chauffer à moindre coût
Outre des avantages financiers pour les habitants, ce stockage de l’énergie excédentaire, agrégé à l’échelle collective, permettrait de créer une centrale virtuelle capable de stabiliser le réseau électrique. « Quand la production d’énergie renouvelable dépasse la demande, notre système absorbe le surplus pour le stocker sous forme de chaleur. Le réseau reste stable, et en plus les foyers sont chauffés à moindre coût. C’est gagnant-gagnant ! », s’enthousiasme Sebastian Rigger.
Car pour l’équipe de Joulzen, hors de question de reconvertir cette chaleur en électricité – le procédé est trop inefficace. L’utilisation directe de la chaleur pour le chauffage et l’eau chaude à des fins domestiques est la priorité. « Cela tombe sous le sens quand on sait que le chauffage représente environ 80 % de la consommation d’énergie des ménages dans les climats souvent froids comme le nôtre », conclut l’ingénieur.
Un déploiement progressif et ambitieux
Actuellement, Joulzen se prépare à entrer sur le marché autrichien d’ici l’automne 2025. Des expansions sur d’autres marchés sont prévues, notamment en Allemagne – un pays germanophone, et fortement concerné par les échéances imposées par l’UE. Sebastian Rigger est transparent quant au calendrier : « Notre matériel et nos systèmes de contrôle prédictif seront prêts à être commercialisés cet automne. Cependant, notre fonctionnalité d’agrégation virtuelle pour la stabilisation du réseau aura besoin d’environ un an de plus – le lancement complet est prévu pour 2026. »
Pour son développement, Joulzen a déjà obtenu près d’un demi-million d’euros de financement de la part d’importants programmes de subventions autrichiens (AWS, VBA et FFG) et de business angels, et bénéficie d’un solide soutien d’incubation à la TU Wien jusqu’en septembre 2026. Le cofondateur de la start-up est confiant : « Nous sommes très optimistes, quant aux développements, au planning… surtout moi ! » Entre un esprit positif — porté en outre par une communication colorée et pleine d’humour — et une feuille de route précise, Joulzen dispose de tous les atouts pour transformer les citernes du passé en batteries thermiques du futur.