Cela fait partie de ses nombreuses propriétés : le béton frais s’adapte à la forme de l’endroit où il est coulé. Jusqu’à son durcissement, il est donc maintenu par un coffrage, généralement en bois mais qui peut également être en plastique. Les coffrages en plastique servent notamment à préserver un espace vide dans la dalle de béton pour laisser la place à des équipements. S’il est possible d’employer du plastique recyclable pour ces coffrages, la plupart des acteurs de la construction ne les recyclent pas. « Un gros trou dans la raquette » qu’a identifié Jean Sauttreau, fondateur de la start-up Boudi.
« Ces produits sont généralement conçus pour être à usage unique car il faut les détruire pour les retirer du béton. Personne n’a d’intérêt à les récupérer et ils finissent en enfouissement », explique-t-il. Alors qu’en France, 70 % des déchets sont issus du monde de la construction, la Responsabilité élargie du producteur des produits et matériaux de construction du bâtiment (REP PMCB), qui prévoit de structurer la filière de tri et de recyclage, n’est entrée en vigueur qu’en 2022. Pour autant, les travaux et le bâtiment produisent des millions de tonnes de déchets plastiques par an dont à peine 20 % sont recyclés. « Le recyclage coûte cher comparé à la production de plastique », argumente Jean Sauttreau. C’est donc face à ce constat aberrant, écologiquement et économiquement, que l’entrepreneur a eu envie de développer une gamme de coffrage en plastique 100 % recyclé et réutilisable, à l’origine du projet Boudi.
Plastique recyclé, du jardin au chantier
Pour concevoir ses coffrages en plastique recyclé, Jean Sauttreau se fournit auprès des centres de tri spécialisés. « Nous récupérons des broyats, typiquement issus de mobilier de jardin – des chaises, des bains de soleil… – que nous devons ensuite qualifier ». En effet, si la plupart des broyats plastiques sont à base de propylène, ils sont très souvent mélangés avec d’autres composés, comme du talc. « Aucun plastique n’est pareil ! ». L’analyse des gisements permet de mettre au point des processus de production qui s’affranchissent de la variabilité des plastiques récupérés.
La matière première est ensuite caractérisée, et conçue pour être la plus performante possible compte tenu de l’utilisation. Pour développer des coffrages qui ne soient pas à usage unique mais, au contraire, réemployables plusieurs fois, Jean Sauttreau en a complètement repensé le design – le matériau, mais aussi l’épaisseur, le poids, le renfort … qui sont fonction de la poussée du béton. « Même cassés ou tordus, l’objectif est de récupérer ces coffrages et de les réutiliser ou de les recycler, afin que la production soit vraiment circulaire », complète l’entrepreneur.
Un projet social et solidaire
Pour ses recherches, menées fin 2022 pendant la période d’incubation de Boudi à IMT Mines Alès, Jean Sauttreau est accompagné par l’équipe du Centre des matériaux des mines d’Alès (C2MA) qu’il connait déjà. Il y a 20 ans, cet électromécanicien de formation et autodidacte passait déjà par l’incubateur d’IMT Mines d’Alès pour développer Compart, une start-up spécialisée dans les produits de compartimentation de feu. En 2019, Vinci acquiert la jeune pousse tout en lui laissant les commandes de l’unité commerciale mais « l’appel de l’entreprenariat était plus fort ».
Sa nouvelle entreprise, Jean Sauttreau l’imagine fortement ancrée sur son territoire, les Cévennes, mais pas seulement. « Je voulais monter un projet un peu différent, toujours technologique, mais aussi écologique, et avec une dimension sociale, notamment autour du handicap », relate-t-il. Il se tourne d’abord vers les Établissement et service d’accompagnement par le travail (ESAT) mais s’aperçoit rapidement de l’inadéquation avec les processus industriels et la technicité requise pour la fabrication de ses produits. « Nous avons besoin de personnes autonomes dans leurs tâches et la volonté que celles-ci soient considérées comme des salariés ordinaires. C’est ainsi que nous sommes passés sur un modèle ‘d’entreprise adaptée’ », retrace-t-il.
Des postes de travail adaptés
Pour obtenir ce statut, il faut qu’au moins 55 % des effectifs de l’entreprise soient en situation de handicap, ce qui est le cas des quatre personnes actuellement salariées de la start-up. « Ce sont des discussions qui ont duré quasiment un an, de gros dossiers à monter… Il faut vraiment avoir envie de le faire », assure Jean Sauttreau. Boudi est suivie par la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS) avec laquelle sont renégociés tous les ans les dispositifs d’accompagnement.
Une procédure lourde car destinée à s’assurer des bons motifs et des conditions de travail appropriées pour accueillir ces personnes fragiles, souvent décrochées de l’emploi. « Concrètement, nous travaillons sur des panneaux en plastique recyclés qui mesurent jusqu’à 3 m par 1,30 m, avec des épaisseurs de 4 mm à 2 cm ; ce sont des grands plans de travail. Nous utilisons également une thermo-presse – comme une grosse machine à paninis – ou encore des fraiseuses numériques. Il faut penser tous ces postes de travail en fonction de nos salariés et de leur handicap », détaille Jean Sauttreau. « Nous avons en outre un objectif de ‘sortie positive’, c’est-à-dire de former ces personnes et de préserver leur employabilité, pour qu’en quittant Boudi, elles soient en mesure de rejoindre des structures ordinaires, et non des entreprises adaptées », complète-t-il.
Vers une croissance raisonnée et vertueuse
Boudi applique les principes de l’économie solidaire et sociale (ESS) jusque dans son financement. L’entreprise bénéficie pour le moment de fonds de Créalia Occitanie et de l’Agence de la transition écologique (Ademe), et ses bénéfices sont dédiés au maintien ou au développement de l’activité. En avril dernier, la start-up a lancé la production de son premier chantier-type pour un démarrage en juillet 2024. Jean Sauttreau souhaiterait se financer avec la vente des premiers produits de son entreprise. « Et si nous devons nous agrandir, nous irons plutôt chercher dans le financement mutualiste », assure-t-il.
L’entrepreneur a d’ores et déjà de nombreuses pistes d’exploration en tête, comme il le souligne : « Nous ne risquons pas de manquer de ressources car les prévisions annoncent un triplement de la production de plastique d’ici 2060. » Il continue pour cela de collaborer avec les scientifiques d’IMT Mines Alès, « des équipes vraiment dédiées au savoir et à la production de connaissances, plus qu’au développement économique », salue-t-il. « Et humainement c’est toujours mieux de ne pas être seul. » Parmi les pistes explorées : l’amélioration des procédés, du point de vue de la praticité pour les opérateurs, mais aussi de la consommation énergétique. « Il y a encore beaucoup de travail à accomplir en faveur du recyclage et de la durabilité des matériaux dans le domaine de la construction. Mais nous allons dans le sens des solutions », conclut Jean Sauttreau avec optimisme.