La question du maintien à domicile des personnes âgées représente un enjeu majeur pour un pays comme la France, à la population vieillissante et qui compte aujourd’hui 14,5 millions d’individus de 65 ans ou plus. Malheureusement, l’autonomie diminuant avec l’âge, la vie à domicile peut comporter des risques, en particulier de chutes : d’après la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), il s’en produirait 2 millions chaque année, causant 10 000 décès.
Pour prévenir ces dangers, des solutions existent depuis les années 1970 et l’apparition des premiers dispositifs de téléassistance. Mais ces équipements demeurent peu adoptés à l’heure actuelle : selon l’association française de téléassistance (Afrata), ils ne seraient utilisés que par environ 600 000 personnes. « Le taux de pénétration de la téléassistance en France oscille entre 10 et 12 %, suivant les études », ajoute Nicolas Turpault, cofondateur et dirigeant de Sonaide. Un chiffre nettement inférieur à celui de nos voisins européens, qui atteint 33 % au Royaume-Uni, 26 % en Suède, ou encore 20 % en Espagne, d’après l’étude de la DITP.
La téléassistance intelligente, sans la stigmatisation
« Les solutions classiques de téléassistance, qui consistent généralement à porter un bracelet ou un collier, sont souvent perçues comme stigmatisantes par les personnes concernées », note Nicolas Turpault. « Par conséquent, elles ne les portent pas, ce qui rend un tel équipement totalement inutile. » Pour contribuer à la démocratisation de la téléassistance, et donc au maintien des personnes âgées à domicile en toute sécurité, la start-up Sonaide, incubée à IMT Atlantique, propose un dispositif discret : Le Galet.
Il s’agit d’un petit équipement à brancher et dont le design a fait l’objet d’une attention particulière. « Le Galet a été conçu pour se fondre dans un intérieur », assure Nicolas Turpault. « Nous avons d’ailleurs des premiers retours d’utilisateurs nous indiquant avoir rapidement oublié sa présence. Certains de leurs proches, en voyant le dispositif, croyaient même qu’il s’agissait d’une prise antimoustique ! »
Pour autant, Le Galet n’en oublie pas sa fonction première : doté de micros, il est capable de détecter des sons comme des appels à l’aide, des gémissements ou des pleurs, et d’envoyer une alerte à un centre d’appel. Un opérateur peut alors communiquer avec la personne âgée à travers le dispositif et, en cas d’absence de réponse, prévenir ses proches ou les secours. Une organisation adaptée aussi bien à un individu vivant seul chez lui qu’aux résidences services seniors ou autonomie.
Le deep learning à l’épreuve du manque de données
Afin de remplir sa mission de surveillance et d’alerte, l’équipement développé par Sonaide s’appuie sur l’intelligence artificielle. Une spécificité qui tire son origine des travaux de recherche menés par son cofondateur. « J’ai réalisé une thèse sur l’analyse des problématiques de la reconnaissance des sons ambiants en environnement réel », présente Nicolas Turpault. « L’idée était notamment de mettre au point des algorithmes de deep learning capables d’identifier différents sons, malgré les difficultés associées à la contrainte de l’environnement réel. »
La première d’entre elles : le manque de données annotées et réelles. En effet, tout modèle de deep learning nécessite une phase d’entraînement, durant laquelle il « apprend » à effectuer la tâche prévue à partir d’un jeu de données, qui doivent être en quantité suffisante, au bon format, voire annotées. Et il n’existe bien sûr aucune base de données comprenant des enregistrements audio de personnes âgées appelant à l’aide. Alors comment entraîner les algorithmes sans recourir à des acteurs jouant tous les cas de figure envisagés ? « En réalité, il est possible de répondre à cette problématique sans avoir à élaborer des modèles complexes de deep learning, grâce à quelques astuces », indique Nicolas Turpault.
Pour la phase d’entraînement, Sonaide recourt ainsi à la création de données synthétiques : des fichiers audio mêlant différents sons se superposant, que le modèle va progressivement apprendre à distinguer. « L’avantage du cas d’usage de la téléassistance, c’est que nous n’avons pas besoin de balayer l’ensemble des bruits imaginables », note Nicolas Turpault. « Par exemple, il y a peu de chances que l’appel à l’aide d’une personne âgée soit couvert par le bruit d’un réacteur d’avion. En revanche, pour les sons du quotidien, comme celui d’un aspirateur, nous pouvons utiliser les banques de données audio libres de droits, disponibles en ligne. » Et il ne s’agit là que d’une des astuces employées par la start-up, qui œuvre également à l’adaptation de son modèle de deep learning aux problématiques de la téléassistance.
Vers la prévention de la perte d’autonomie
En outre, Sonaide doit relever le défi de l’intelligence artificielle embarquée. En effet, le traitement des sons enregistrés par les micros s’effectue en local, afin de respecter la vie privée des utilisateurs. Or, la puissance de calcul du Galet n’est bien sûr pas la même que celle d’un ordinateur. C’est pourquoi l’entreprise recourt à des méthodes de compression de son modèle de deep learning, un champ qui fait encore l’objet de travaux de recherche, avec des partenaires académiques français et japonais.
Si cette technologie embarquée se concentre aujourd’hui sur la reconnaissance des appels à l’aide, des gémissements et des pleurs, Sonaide souhaite répondre plus globalement à la problématique du vieillissement à domicile. « Nous nous intéressons aux cinq piliers de la perte d’autonomie, à savoir la nutrition, l’hygiène, les perturbations du sommeil, le manque de mouvement et l’isolement », énumère Nicolas Turpault. « Par exemple, des douches anormalement longues ou courtes peuvent alerter quant à un changement de comportement au niveau de l’hygiène. L’idée serait donc de faire de la prévention, afin de limiter le déclin cognitif de l’individu. » Une démarche qui nécessite cependant du temps pour pouvoir être intégrée au Galet : si la solution est techniquement déjà au point sur la surveillance du sommeil et de l’hygiène, elle requiert l’analyse et la validation de professionnels du vieillissement pour être médicalement reconnue et faire la preuve de son utilité.
Afin de financer ces projets de R&D, l’industrialisation et la commercialisation du Galet, la start-up entend lever trois millions d’euros au total, sur les deux prochaines années. Et pour voir son produit venir en aide aux personnes âgées et rassurer leurs familles, Sonaide s’appuie sur un modèle B2B2C, via les sociétés de téléassistance et les revendeurs de matériel médical, qui disposent déjà d’un maillage territorial étendu. Avant d’envisager de nouvelles applications ? « En premier lieu, nous pensons pouvoir passer de la téléassistance à la télésurveillance, en adaptant quelque peu le dispositif », prévoit Nicolas Turpault. « Mais notre ADN reste d’aider les personnes au quotidien. C’est pourquoi nous aimerions, à plus long terme, employer notre technologie pour détecter et prévenir le harcèlement scolaire, même si une telle application présenterait un grand nombre de nouveaux défis. »