Au terme de ce projet en 2020, le chercheur s’accorde un congé sabbatique en Autriche, qui coïncide avec le confinement conséquent à la pandémie de Covid-19. Face au bilan mitigé de sa première année, il décide de prolonger son séjour. Il passe finalement deux ans entre les universités techniques de Vienne et de Graz, à explorer entre deux équipes complémentaires des approches moléculaires et biomécaniques. Un entracte décisif en matière de collaborations, mais aussi ressourçant. « Lorsqu’on fait de la recherche, il est toujours très bénéfique de sortir de son quotidien pour y revenir avec de nouvelles idées », assure le chercheur.
Preuve à l’appui, Stéphane Avril obtient à son retour une seconde bourse ERC Proof of concept pour son projet MECHANOMICS-POC. Ce financement, plus modeste (150 000 €), vient soutenir le transfert technologique d’une technique d’imagerie utilisée sur BIOLOCHANICS, la tomographie en cohérence optique (OCT), jusqu’à la création d’une start-up. L’OCT, utilisée pour observer les déformations des tissus et les forces qui s’appliquent à l’échelle des cellules, est ainsi intégrée dans une plateforme nommée KaomX. La start-up fournit des cartographies de l’élasticité autour des cellules dans les tissus : une information clé pour l’industrie pharmaceutique car les effets des médicaments dépendent de la mécanique des tissus propre à chaque individu.
Les ingrédients de l’ERC : prenez un risque, ajoutez-y une idée
Dans le flot de ses recherches, Stéphane Avril s’interroge sur le déclenchement des pathologies comme l’anévrisme, et comment les éviter. « Toutes ces maladies résultent essentiellement du vieillissement des artères et de l’usure mécanique. J’ai alors imaginé que si nous pouvions maintenir les bonnes forces sur les cellules, nous pourrions repousser les effets du vieillissement », relate-t-il. Après trois ans de maturation, le chercheur se décide à soumettre un projet révolutionnaire : empêcher le vieillissement des artères en contrôlant les forces qui s’appliquent sur les cellules. Il l’appelle JuvenTwin, un nom qui évoque la jeunesse, mais dont le chercheur ne cache pas le clin d’œil sportif, « j’aime beaucoup le foot », confie-t-il en souriant.
En avril 2024, le projet obtient une bourse ERC Advanced, la troisième pour Stéphane Avril. Un succès dont le chercheur nous livre sa recette : « Dans mon entourage, beaucoup perçoivent l’ERC comme inaccessible, mais il faut se lancer avec une idée et, surtout, oser la prise de risque ». Une approche peu répandue dans le milieu de la recherche où la garantie de résultats est souvent préférée. Le chercheur reconnaît également l’influence bénéfique d’autres lauréats autour de lui, notamment lors de son expérience en Autriche, avec qui échanger et demander conseil. Avant d’ajouter que la chance a peut-être aussi été de son côté. « La première fois que j’ai déposé une ERC il y a 14 ans, je ne l’ai pas eue, et il m’a fallu trois essais avant de l’obtenir. Pour JuvenTwin, je ne pensais pas que la demande passerait du premier coup mais le mot ‘rajeunir’ a dû faire son effet ! »
Un saut dans l’inconnu
Si cela semble relever de la science-fiction, le rajeunissement est pourtant un sujet de recherche émergent. De nombreuses études montrent qu’il est possible de ralentir le vieillissement mais de façon non maitrisée. JuvenTwin s’inscrit ainsi dans un ensemble de travaux menés au niveau mondial autour du vieillissement des artères et de la réjuvénation, privilégiant des approches cliniques et biologiques, mais pas du tout mécaniques.
Pour soutenir ce sujet très pointu du vieillissement des tissus artériels, Stéphane Avril a développé des collaborations avec deux équipes spécialisées en la matière, à l’université de Yale, aux États-Unis, et à Nancy, en France — l’unité DCAC, sous tutelles de l’Inserm et de l’université de Lorraine. Cette dernière a mis en place une biobanque humaine unique de tissus et cellules vasculaires, provenant d’individus sains et de patients d’âges variés, et de profils d’athérosclérose précoce et tardive, permettant l’étude de leur comportement mécanique.
« L’influence de la mécanique sur le vieillissement est un sujet de recherche relativement nouveau et encore peu connu. Même si nous avons un parachute, cela reste un vrai saut dans le vide ! », mesure le chercheur. « Mais c’est une piste complémentaire qui devrait apporter de nouveaux éléments, et nous espérons que l’impact de nos recherches sera très fort » conclut-il.