Comment expliquer la multiplication ces dernières années des installations de méthanisation ?
Yves Andres : La méthanisation est une transformation de la matière organique par des bactéries qui, en milieu anaérobie (en l’absence d’oxygène) et après un certain nombre d’étapes, produisent du biogaz. Lorsque des déchets organiques sont laissés sans gestion, ils émettent naturellement du méthane et du dioxyde de carbone en se dégradant. Or les sources de déchets organiques sont nombreuses : collectivités, industries agroalimentaire, agricole… Outre la question de la gestion des déchets, le méthane a un impact 21 fois supérieur au dioxyde de carbone sur l’effet de serre. La fermentation d’une telle quantité de déchets présente donc un vrai risque pour le réchauffement climatique et l’environnement !
Khaled Loubar : C’est pour cette raison que certains sites agricoles se pourvoient directement de méthaniseurs, afin d’éviter que les effluents d’élevage ne soient laissés à l’air, et de contrôler la méthanisation. C’est le cas également des centres d’enfouissement techniques, c’est-à-dire des décharges. Aujourd’hui tous ces centres sont équipés de réseaux de captage du biogaz afin d’éviter de relarguer ces émissions dans l’atmosphère.
Est-il possible d’utiliser le biogaz issu de la méthanisation ?
YA : Depuis très longtemps, ce processus d’origine naturelle est effectivement mis à profit pour traiter la matière organique, mais aussi créer un vecteur énergétique. A minima, le biogaz récupéré est brûlé en torchère, dispersant de la chaleur et du dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Mais aujourd’hui, la tendance est évidemment d’exploiter autant que possible le potentiel de cette ressource.
Comment est-il valorisé ?
YA : Il y a trois niveaux de valorisation du biogaz. Le premier consiste à en faire du combustible pour chaudière, donc à simplement produire de la chaleur. Le second, à l’utiliser dans des moteurs de cogénération, pour récupérer la chaleur et produire de l’électricité. La chaleur est utilisée pour chauffer de l’eau ou des bâtiments – notamment dans les élevages – mais aussi pour maintenir le méthaniseur à température.
Comme le processus est fonctionnel entre 30 et 40 °C, il faut, sous nos climats, y ajouter un peu d’énergie. La chaleur produite par le moteur de cogénération est une source possible, auquel cas le système s’auto-alimente. L’électricité co-générée est aussi utilisée sur place, ou réinjectée dans le réseau. Le troisième niveau de valorisation consiste à purifier le biogaz pour augmenter la concentration en méthane et faire du biométhane.
Quelles sont les étapes pour obtenir du biométhane ?
YA : Lorsque le procédé est bien contrôlé, le biogaz récupéré contient entre 40 et 60 % de méthane. Le reste est constitué de dioxyde de carbone et de quelques polluants corrosifs comme l’hydrogène sulfuré. Dans les centres d’enfouissement techniques, le biogaz peut aussi contenir des siloxanes, des molécules organiques faites de carbone et de silice qui, lorsqu’elles sont brulées, forment des cristaux de silice qui dégradent les moteurs. Le biogaz est donc toujours traité pour éliminer ces polluants, et parfois purifié pour en retirer le dioxyde de carbone afin d’obtenir du biométhane.
KL : En dehors des aspects microbiologiques que nous laissons à d’autres laboratoires plus spécialisés, nous avons l’expertise pour intervenir sur toutes les étapes du procédé de méthanisation, dont cette phase de séparation. Une des équipes d’IMT Atlantique travaille donc sur le captage du dioxyde de carbone, afin de purifier le biogaz et produire du biométhane, en utilisant moins de solvants. Une fois séparés, le dioxyde de carbone peut être récupéré par les industriels pour divers usages, et le biométhane dédié à être injecté dans le réseau de gaz naturel est conditionné, avec une compression, une odorisation, etc.
La variabilité des déchets organiques a-t-elle un impact sur le gaz produit ?
YA : Le méthane est une molécule très simple, un atome de carbone et quatre atomes d’hydrogène (CH4). Qu’il soit produit par méthanation de synthèse, voie biologique ou dans une panse de vache, sa composition ne change pas. Seule la pureté de ce qui est produit diffère. En revanche, l’approvisionnement peut poser problème. La biomasse agricole surtout est produite de façon saisonnière, or les réacteurs de méthanisation doivent fonctionner toute l’année. Les matières organiques étant fermentescibles, elles se dégradent et peuvent difficilement être conservées.
Une autre solution est de faire de la gazéification à partir de la biomasse sèche ou de combustibles solides de récupération. Il faut donc choisir la meilleure solution en fonction du bilan énergétique : ce n’est clairement pas pertinent de sécher du lisier de vache, mais pourquoi pas d’autres matières premières de valeur, avec un fort potentiel.
L’alternative est de faire de la codigestion, c’est-à-dire de mixer les intrants, les matières premières qui alimentent le réacteur. Nous réalisons alors des tests en laboratoire pour analyser le potentiel méthanogène de différents substrats organiques, avec l’objectif de fournir un mélange garantissant un bon rendement de production de biogaz.
Quelles sont les utilisations du biométhane ?
YA : Une partie du biogaz est bien sûr valorisée dans les machines thermiques. Il n’est pas rare de croiser à Paris des bus qui roulent au biométhane, issu de décharges. Mais les installations de méthanisation s’orientent beaucoup plus vers l’injection, incitées par les opérateurs comme GRDF pour avoir plus de gaz vert dans leur réseau. D’ici 2030, la part des énergies renouvelables doit représenter 32 % de la consommation d’énergie en France, et le biogaz va prendre une part de plus en plus importante dans le bouquet énergétique.
Pour les exploitations agricoles, la méthanisation devient de fait une source supplémentaire de rémunération. Or chaque étape de procédé à ajouter, pour valoriser le biogaz jusqu’à l’obtention d’un biométhane « injectable » dans le réseau, a un coût énergétique et économique. Plus les exploitations veulent un gaz purifié, plus elles doivent produire pour rentrer dans leurs frais.
Cela soulève évidemment beaucoup de questions, car pour répondre à l’équilibre financier, il faut des méthaniseurs de très grande taille, et donc beaucoup de biomasses pour les alimenter. Cela implique potentiellement de faire venir des biomasses en provenance d’autres sites, avec un coût énergétique significatif, voire de pousser à la culture de biomasse qui serait uniquement destinée à produire de l’énergie, comme cela a été observé en Allemagne. C’est pourquoi il est primordial de réaliser au cas par cas des bilans énergétiques – qui font partie des outils techniques que nous maîtrisons au laboratoire – afin d’établir si la balance énergétique et économique est favorable.