En 2022, la rupture du gazoduc Nord Stream, sous la mer Baltique, a entraîné un des plus importants rejets de méthane jamais enregistrés : près de 450 000 tonnes selon une étude récente de l’Agence spatiale européenne. Dans un pipeline, une infime brèche peut représenter plusieurs tonnes de gaz émis dans l’atmosphère chaque année. Pourtant, sur le terrain, les technologies de détection restent rares, coûteuses, ou difficilement déployables. C’est ce vide que la start-up Mirega entend combler.
Fondée en 2023, la jeune pousse, actuellement incubée à IMT Nord Europe, conçoit un capteur infrarouge portable, dédié à la mesure de gaz à effet de serre directement sur le terrain. Elle cible tout particulièrement la détection de fuites sur les pipelines et la surveillance des émissions sur les sites industriels, deux cas d’usage encore dépourvus de solutions adaptées. Le cœur technologique du dispositif repose sur une innovation issue de la recherche fondamentale, que le fondateur de Mirega, Vincent Hardy, a su traduire en application concrète. La solution, légère, robuste et ultra-compacte, répond ainsi à un besoin critique dans l’industrie : celui d’effectuer des mesures précises là où les dispositifs existants sont trop encombrants ou statiques.
Prendre de la hauteur pour mieux se lancer
C’est sur les hauteurs des Alpes, skis aux pieds, que Vincent Hardy prend de plein fouet la réalité du changement climatique. Saison après saison, ce moniteur de sports d’hiver voit fondre la neige un peu plus tôt, reculer les glaciers, et se raccourcir la durée des hivers. « C’est ce constat qui m’a motivé à créer une entreprise avec un impact environnemental positif », argumente-t-il. Une reconversion ? Pas vraiment. Plutôt une nouvelle étape dans un parcours marqué par le goût de l’aventure. Car sous le masque de ski, c’est aussi – et avant tout – un ingénieur en optique qui observe les effets du réchauffement climatique !
Entrepreneur dans l’âme, Vincent Hardy part dès sa sortie d’école fonder sa première entreprise, Sinoptix, en Chine. Cinq ans plus tard, il revient en France, plus précisément en Savoie, pour se consacrer à un rêve d’enfant : devenir moniteur de ski. Mais l’envie de bâtir des projets ne le quitte pas pour autant. En 2012, il rejoint la TPE ALPAO, spécialisée dans l’optique adaptative, qu’il finira par diriger. Cette expérience dans une entreprise de pointe lui laissera le temps de mûrir l’idée d’un projet en lien direct avec son expertise technologique, mais au service d’un enjeu plus vaste : la transition écologique.
À la convergence entre recherche et entreprenariat
Pour l’entrepreneur, l’enjeu est clair : le développement d’outils performants ne doit pas se faire au détriment des exigences environnementales — les deux doivent aller de pair, sans concession. « Je suis un geek, ce qui m’intéresse avant tout, c’est la technologie », confesse-t-il en souriant, « Donc je suis allé voir des laboratoires et des SATT [sociétés d’accélération du transfert de technologies], mais j’ai aussi étudié les espaces marchés où il y avait des besoins environnementaux. Et à un moment, ça s’est rencontré ! »
C’est à la SATT Lutech, que Vincent Hardy fait la rencontre de deux chercheurs de l’École normale supérieure de Paris : Jakob Reichel et Romain Long. Spécialistes de physique quantique, ils travaillent sur la détection d’atomes froids – un domaine exigeant une précision extrême. Leur outil : une cavité Fabry-Perot miniaturisée, autrement dit deux miroirs ultra-réfléchissants positionnés face à face, capables de créer une onde stationnaire à l’intérieur d’un faisceau de lumière. Une innovation pensée pour l’expérimentation fondamentale, mais qui ouvre des perspectives bien au-delà du laboratoire. « Cette invention permet aussi de miniaturiser des analyseurs de gaz », explique Vincent Hardy.
Le trio, rejoint par Pierre Mahiou – un ancien collègue d’ALPAO – fonde Mirega en février 2023. L’ambition est posée : développer un analyseur de gaz infrarouge miniature, 100 fois moins encombrant que les solutions classiques, tout en maintenant un niveau de performance équivalent, voire supérieur.
Une précision qui se joue à un cheveu
La technologie mise en œuvre par Mirega repose sur la spectroscopie infrarouge. Elle consiste à envoyer une lumière invisible sur une substance afin de faire vibrer ses molécules. Chaque type de liaison chimique absorbe une fréquence spécifique, ce qui permet d’identifier les gaz présents en analysant le spectre d’absorption. Pour garantir la lisibilité du signal, il faut que le faisceau lumineux interagisse suffisamment longtemps avec la matière. D’où l’importance de ce que les scientifiques appellent le « chemin optique » : plus la lumière parcourt de distance dans l’échantillon, plus le signal est fort.
Dans les appareils classiques, l’intensité du signal est renforcée en augmentant artificiellement le chemin parcouru par la lumière à l’aide de cavités optiques constituées de deux miroirs face à face. « Pour gagner en sensibilité, on utilise ainsi soit une cavité multi-passage, où la lumière rebondit plusieurs fois avant de ressortir ; soit une cavité résonante, comme celle que nous développons, où elle forme une onde stationnaire entre les miroirs », détaille Vincent Hardy.
Ce que Mirega change, c’est l’échelle. « Au lieu de fabriquer des miroirs macroscopiques d’une dizaine de centimètres, nous usinons le bout d’une fibre optique pour obtenir un miroir de la taille d’un cheveu. » Résultat : un dispositif ultra-réduit, qui tient littéralement sur une pièce d’un centime, avec un chemin optique pouvant atteindre une centaine de mètres. « Cela permet une compacité inégalée, sans perte de performance. En plus, c’est fibré, donc beaucoup plus robuste face aux vibrations. »
Cette miniaturisation n’est pas seulement un exploit technologique, elle représente aussi un atout économique. Les composants optiques utilisés proviennent du secteur des télécommunications, où les procédés de fabrication sont déjà bien rodés. « Nous projetons plus de 70 % de marge brute », avance le fondateur. De quoi envisager à terme une production à grande échelle.
Un outil mobile adapté aux mesures de terrain
Le prototype développé par Mirega est capable de détecter toutes les molécules qui présentent une signature infrarouge. Néanmoins, la start-up a fait le choix stratégique de se concentrer sur deux gaz à effet de serre (GES) : le dioxyde de carbone (CO₂) et le méthane, dont le pouvoir de réchauffement global est 84 fois supérieur au CO₂ sur une période de 20 ans. « Les fuites de méthane représentent à la fois un enjeu environnemental et une perte économique énorme, surtout dans un contexte où la sécurité énergétique est devenue une priorité », soulève Vincent Hardy.
Aujourd’hui, les industriels disposent de peu de moyens efficaces pour détecter ces fuites. Les mesures sont souvent réalisées par bilan de masse, à partir des volumes entrants et sortants. Une méthode imprécise, qui ne répond plus aux exigences de la règlementation européenne, de plus en plus stricte sur la traçabilité des émissions. « Ce qu’il faut, ce sont des mesures de terrain, capables de faire le tour d’un site industriel avec précision. » D’où l’intérêt d’un analyseur mobile, sensible et compact.
Mirega cible ainsi deux marchés clés : la détection de fuites dans les pipelines, et la quantification des GES sur les sites industriels. « Ces fuites présentent non seulement des risques pour la sécurité, mais aussi des opportunités d’optimisation des procédés », ajoute l’entrepreneur. En d’autres termes : mieux détecter, c’est aussi mieux produire.
Entre incubation, validation industrielle et passage à l’échelle
Pour affiner sa technologie, Mirega a déjà bénéficié du soutien de Natran (ex-GRTgaz), qui lui a permis de tester son prototype dans un environnement industriel et de valider ses performances selon les standards du secteur. L’incubation à IMT Nord Europe, en cours, apportera à la start-up un accompagnement stratégique dans sa structuration, ainsi qu’un accès privilégié aux expertises scientifiques et aux laboratoires de l’école, « des références dans le domaine ; c’est un vrai appui pour nous. »
Pour l’heure, Mirega commercialise uniquement ses miroirs miniatures, éléments-clés de la cavité Fabry-Perot, et les capacités de production sont encore limitées. Depuis mai 2025, la start-up a lancé une levée de fonds de 3 millions d’euros, incluant l’augmentation de capital, les subventions et les prêts. « Ces fonds ont une double ambition : industrialiser le cœur de notre technologie, c’est-à-dire la cavité optique, et finaliser la R&D de notre analyseur de gaz », précise le fondateur. Objectif : faire passer la technologie du laboratoire au terrain, et proposer dès 2026 une solution fiable et mobile, adossée à un drone, pour répondre enfin à cet enjeu industriel de premier plan.