Longtemps cantonnés à des traitements lourds et peu ciblés, les cancers du cerveau – et notamment les glioblastomes – restent parmi les plus redoutés. Pourtant, ces dernières années, les laboratoires explorent de nouvelles pistes aux frontières de la médecine et de la physique. À l’image de cette approche innovante consistant à exploiter le fer pour déclencher un stress oxydatif létal dans les cellules cancéreuses les plus agressives.
Dans cette effervescence scientifique, une jeune pousse issue de Mines Saint-Étienne tente une percée singulière. Baptisée Oncoelectronics, cette start-up associe biocompatibilité, miniaturisation et électrophysiologie pour proposer une solution inédite : un dispositif souple implantable, capable de délivrer des champs électriques localisés dans le cerveau et destinés à freiner, voire interrompre, la progression tumorale.
Ce pari technologique s’inscrit dans une démarche aussi pragmatique qu’humaniste : faute de pouvoir soigner, Oncoelectronics vise à repousser l’échéance fatidique, avec simplicité et précision.
Une autre idée du soin
En effet, pour le moment, les glioblastomes ne se guérissent pas. La moyenne de survie tourne autour de 15 mois après diagnostic, selon les données du National Cancer Institute. Dans ce contexte, Oncoelectronics ne prétend pas faire de miracle. « Nous ne sommes pas en mesure de promettre de guérir la maladie », concède Rod O’Connor, directeur scientifique (CSO) et cofondateur d’Oncoelectronics, « mais nous pouvons essayer prolonger la vie, et maintenir une qualité de vie décente. » Offrir quelques mois, voire années de vie en plus, c’est parfois tout ce qui compte : une naissance, une fête, un été de plus.
Derrière cette ambition, c’est une certaine vision du soin qui se dessine : celle où l’innovation n’est pas synonyme de promesse absolue, mais d’engagement à repousser les limites du possible, à rendre chaque jour gagné plus doux et plus digne. À l’ère des technologies de rupture, Oncoelectronics rappelle que le progrès peut aussi se mesurer en minutes précieuses, en instants rendus à ceux qui les croyaient perdus.
Des impulsions électriques ultraciblées
Le projet d’Oncoelectronics repose sur un traitement hyperciblé, implanté à l’endroit même de la tumeur, afin d’en ralentir la progression. Sauf qu’au lieu de recourir à la chimiothérapie ou à la radiothérapie, la start-up mise sur le champ électrique. Plus précisément, un courant électrique pulsé émis localement via des polymères souples implantables, conçu pour perturber la croissance des cellules cancéreuses.
« Notre but est d’envoyer un courant aux tissus pour tuer les cellules cancéreuses », résume Rod O’Connor. Ce chercheur du Centre de microélectronique de Provence (CMP), situé sur le campus Aix-Marseille-Provence Georges Charpak de Mines Saint-Étienne, mène depuis douze ans en France des travaux dans les domaines de la recherche sur le cancer, de la bioélectronique, de la biotechnologie et des neurosciences. Au cours de ces travaux, il a démontré que des impulsions électriques bien calibrées pouvaient entraîner la destruction localisée des tissus cancéreux. Des tests menés successivement sur des cellules, des organoïdes (mini-organes en trois dimensions), puis des souris ont ensuite confirmé le potentiel d’un tel dispositif.
Une alliance transatlantique…
Bien qu’Oncoelectronics s’appuie sur des années de recherche rigoureuse et des fondations scientifiques solides, sa création tient, comme souvent, à une rencontre opportune. C’est lors d’une conférence à Ljubljana, en Slovénie, consacrée aux technologies médicales, que Rod O’Connor reçoit l’impulsion décisive : « Des confrères travaillant pour une entreprise majeure du secteur m’ont convaincu que la technologie sur laquelle je travaillais depuis des années méritait de sortir du laboratoire, et que le bon moyen d’y parvenir était de créer une start-up. Nous avions déjà des résultats positifs sur les souris, il fallait absolument tenter d’aller jusqu’aux essais humains. »
Mais l’enseignant-chercheur ne se voyait pas piloter seul une entreprise en parallèle de ses fonctions académiques. Il lui fallait une personne capable de transformer une vision scientifique en projet de start-up : ce fut Alanna Harlton, entrepreneure canadienne. Co-fondatrice par le passé de NeurotechVan, un réseau dédié à la démocratisation des technologies cérébrales sur la côté ouest du Canada, l’entrepreneuse était déjà forte d’une expérience dans l’administration de la recherche publique, la diplomatie, et l’écosystème des neurotechnologies.
« J’avais déjà travaillé avec des scientifiques, mais là, il y avait quelque chose de plus. Il y avait une vraie vision derrière ce projet, un impact possible énorme, et puis ça faisait écho à une histoire personnelle, donc j’ai tout de suite eu envie d’en faire partie », raconte-t-elle. Le duo est rapidement rejoint par un troisième cofondateur, Martin Bača, ingénieur de recherche slovaque et directeur technique d’Oncoelectronics. Cela fait sept ans que Rod O’Connor et ce collègue du CMP collaborent étroitement. « Martin est brillant. Il a une vraie maîtrise des matériaux, des bases solides en génie électronique et chimique, et surtout, il sait faire le lien entre toutes les technologies. Alanna et moi, nous imaginons, nous concevons… et lui les concrétise. Le plus fou, c’est que quoiqu’il fabrique, cela marche à chaque fois ! », soulève le CSO.
…qui s’enracine en Provence
Si Oncoelectronics est née d’un trio international, c’est bien en France que le projet a pris forme. Incubée au sein de l’incubateur Impulse, puis à l’incubateur TEAM de Mines Saint-Etienne, la start-up a bénéficié d’un écosystème favorable pour se développer et connecter avec des partenaires. « J’avais un réseau académique relativement développé, mais le monde des affaires était une autre planète pour moi », admet Rod O’Connor.
La jeune pousse a ainsi établi des contacts avec plusieurs établissements de référence dans la recherche contre le cancer : l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille, Gustave Roussy en Île-de-France ou encore, plus récemment, avec l’hôpital Marie Lannelongue qui dispose d’un nouveau centre d’innovation dédié au développement de dispositifs médicaux, MALIC. Oncoelectronics a également bénéficié de fonds et d’un prêt d’honneur de BPIfrance, en plus d’un prêt d’honneur Initiative Grandes Ecoles et Universités (IGEU) fin 2024. La jeune pousse dépose actuellement ses premiers brevets, et devrait bientôt entamer une première levée de fonds ciblée.
Et pourquoi la France ? Rod O’Connor raconte : « J’ai eu l’occasion de voyager entre le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis, de comparer les environnements d’innovation, et la France ressortait toujours en premier dans les discussions avec mes pairs. » Pour le chercheur, entre le soutien actif des pouvoirs publics, des dispositifs d’aide bien structurés et une filière santé favorable à l’expérimentation, la France offre un cadre particulièrement propice. « Comme je bénéficiais en plus du réseau des Mines, ça s’est imposé comme une évidence. C’est d’ailleurs tout cela qui m’a permis de convaincre Alanna [Harlton] de quitter le Canada pour s’installer dans le sud de la France ! », conclut Rod O’Connor avec un sourire complice à sa cofondatrice, et aujourd’hui amie.
Concevoir plus petit pour aller plus loin
Aujourd’hui, Oncoelectronics cherche à réduire la taille de son dispositif prototype à quelques centimètres, « d’une taille comparable à celle d’un pacemaker », complète Rod O’Connor. Le dispositif final sera capable de délivrer des impulsions contrôlées et sûres tout en étant implanté de manière durable.
Le plan de validation préclinique suit une logique progressive : après les organoïdes et les souris, la prochaine étape se fera chez des cochons nains – pour se rapprocher encore un peu plus des contraintes anatomiques humaines. Les essais cliniques sur l’humain pourraient débuter dès 2027, dans le cadre d’un protocole encadré par des hôpitaux partenaires. Cette échéance ambitieuse témoigne de la détermination de l’équipe à transformer leur technologie en solution innovante et concrète pour des patients en impasse thérapeutique, qui verraient leur vie prolongée et leur qualité de vie considérablement améliorée.