Vouloir « mettre de l’ordre », « dé-bureaucratiser », « gagner en efficacité »… ces expressions connaissent un certain regain de popularité ces derniers mois, depuis que Donald Trump a annoncé confier à l’homme d’affaires Elon Musk la tâche de restructurer l’État en supprimant toute fonction qui paraîtrait inutilement coûteuse. Pour cela, le patron de Tesla a été placé à la tête d’un département de l’efficacité du gouvernement (DOGE), créé sur mesure pour lui. Des déclarations de responsables publics fleurissent pour reprendre ces idées, y compris en France, souvent teintées de technosolutionnisme. Sont attendus monts et merveilles du numérique et des intelligences artificielles, soit des promesses d’agilité, d’efficacité et de décisions plus fines grâce à l’analyse de données.
Que peut-on vraiment en attendre néanmoins ? Le terme « numérisation » se trouve souvent utilisé sans distinguer différents niveaux d’intégration de la technologie. Veut-on simplement dire arrêter avec les documents papier ? Intégrer des technologies aux processus de gestion ? Transformer les modèles de service en les fondant sur l’analyse de données ? Il paraît majeur de savoir de quoi l’on parle réellement : derrière la promesse de transformation associée au numérique se joue un ensemble de changements multidimensionnels aux effets très différenciés selon les contextes.
C’est exactement ce que j’ai observé dans mes travaux en analysant les trajectoires pendant cinq ans de deux bailleurs sociaux. L’un comme l’autre se sont saisis des mêmes outils, lancés à partir de 2016 par l’Union sociale pour l’habitat : l’agence en ligne pour gérer la relation client et la Maquette numérique pour assurer l’entretien du parc. Ces mêmes outils numériques, appliqués à un même secteur, alimentent deux histoires pourtant bien différentes.
L’histoire d’un appauvrissement du travail
La première histoire est celle d’un organisme que nous rebaptiserons Logemer. Son comité de direction faisait part de sa volonté de déployer une transformation numérique dans un souci d’optimisation pure. Le numérique a alors été introduit de manière assez mécanique. Les données avaient vocation à être remontées par les agences vers le siège d’où seraient prises les décisions. Pari était fait que cela supprimerait les coûts de coordination interservices ou encore les temps passés à répondre aux locataires.
Cette évolution a en fait constitué une rupture forte dans les relations entre le siège et les agences, entre ceux qui fournissent les données, et ceux qui les prescrivent. Les professionnels d’agences ont particulièrement mal vécu cette évolution. Un gestionnaire en témoigne :