Et si la clé de la santé cérébrale résidait dans ses pulsations les plus infimes ?
Le cerveau fascine par sa capacité extraordinaire à générer nos pensées, nos émotions, et à gouverner nos actions. Depuis des siècles, son fonctionnement, complexe et mystérieux à bien des égards, fait l’objet de nombreuses recherches, allant de la médecine à la biologie, en passant par les neurosciences. Aujourd’hui, ces recherches se caractérisent par une interdisciplinarité accrue, jusqu’à parfois rencontrer des disciplines inattendues comme la physique ou les mathématiques.
C’est le cas des travaux d’Alexandra Vallet, maîtresse de conférences au Centre Ingénierie et Santé de Mines Saint-Étienne, qui se placent à la croisée de la biophysique, de la neurologie et de la mécanique des fluides. Capitalisant sur un parcours singulier, de la physique de l’infiniment grand à la physique de l’infiniment petit, la chercheuse tente d’établir un lien entre les pulsations intracrâniennes et des pathologies neuro-dégénératives. Plongée dans les rouages complexes qui se cachent sous notre boîte crânienne.
De la matière noire à la matière grise
Rien ne prédestinait Alexandra Vallet à s’intéresser à la biologie humaine. Après une thèse en astrophysique, où elle tentait de reproduire en laboratoire les conditions extrêmes des étoiles à l’aide de lasers à très haute puissance, elle est recrutée par le CEA. Son rôle : étudier le transport des photons dans des plasmas chauds. « Ce travail avec des technologies de pointe était passionnant, mais très confidentiel. La recherche académique m’attirait justement pour l’échange avec les pairs, et la communication avec le public », confie-t-elle.
En plein questionnement sur sa carrière, elle fait la rencontre d’un neurochirurgien du CHU de Toulouse, Éric Schmidt. Celui-ci lui ouvre une perspective fascinante : appliquées au cerveau, les connaissances d’Alexandra Vallet en physique pourraient aider à mieux comprendre le vieillissement cérébral normal et pathologique. Et pourquoi pas, aider à améliorer la prise en charge des personnes vieillissantes et atteintes de pathologies neuro-dégénératives. C’est un déclic. La jeune chercheuse quitte tout pour suivre un post-doctorat à l’unité « Toulouse Neuro Imaging Center » (ToNIC), en collaboration avec l’institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT), et passe l’essentiel de son temps au CHU de Toulouse à se former aux côtés du neurochirurgien à la biomécanique du cerveau. Elle est également guidée dans cette nouvelle voie par Sylvie Lorthois, elle-même chercheuse transdisciplinaire à l’IMFT, et spécialiste en biomécanique cérébrale.
Son travail consiste alors à établir, sur une cohorte de patients âgés, un lien entre les propriétés mécaniques et élastiques de leur cerveau, et leur niveau de fragilité. À l’issue de ces recherches, les conclusions d’Alexandra Vallet confortent cette corrélation physique : plus le cerveau est rigide, plus une personne est vulnérable face aux agressions extérieures, qu’elles soient mécaniques, chimiques ou biologiques.
Mécanique d’un organe
Cette rigidification du cerveau entraîne des complications car elle perturbe le système des pulsations intracrâniennes, un phénomène naturel lié aux battements cardiaques. « Chaque battement induit un léger changement de volume sanguin dans le crâne, produisant une compression et une déformation des tissus cérébraux », détaille la chercheuse. La création de gradients de pression provoque l’écoulement du liquide cérébrospinal, dans lequel baigne notre cerveau, vers le canal spinal (de la colonne vertébrale), hors de la boite crânienne. Chaque pulsation entraîne ainsi, telle la marée, l’oscillation permanente de ce liquide dans les espaces autour du cerveau et des ventricules, mais aussi dans les espaces « périvasculaires », autour des vaisseaux à l’intérieur-même du cerveau !
Or, avec l’âge, le système perd sa souplesse : le cerveau a plus de difficultés à s’adapter aux changements de volumes et de pression. L’accumulation de pathologies provoque en outre des changements des propriétés mécaniques des tissus – typiquement les parois des vaisseaux sanguins qui deviennent plus rigides – des atrophies, ou encore le dépôt de protéines neurotoxiques (comme les amyloïdes beta), qui accentuent la rigidification du système.
Tous ces facteurs vont changer la pulsatilité intracrânienne, l’oscillation du débit du liquide cérébrospinal, et la déformation des tissus cérébraux (notamment les neurones), avec des conséquences potentiellement néfastes pour l’individu. Comprendre les dynamiques liées à cette pulsatilité intracrânienne devient dès lors une thématique de recherche centrale pour Alexandra Vallet.
De battre, mon cerveau s’est nettoyé
Mais pourquoi ces dynamiques sont-elles si importantes ? La circulation du liquide cérébrospinal, joue un rôle crucial dans l’hygiène du cerveau : c’est le système glymphatique. Chaque pulsation vasculaire envoie par couplage mécanique le liquide cérébrospinal dans les espaces entre les vaisseaux sanguins et les cellules cérébrales, amassant ainsi les toxines pour les éliminer. Au cours des dix dernières années, de nombreuses publications ont démontré que les pulsations intracrâniennes améliorent considérablement l’efficacité du transport de ces déchets cérébraux. « Les espaces périvasculaires sont comme des autoroutes », illustre Alexandra Vallet, « plus les pulsations sont efficaces, plus le nettoyage du cerveau est rapide. »
Cette élimination est fondamentale, notamment pour prévenir les maladies neurodégénératives. Pendant très longtemps, les recherches se sont par exemple attardées sur la production excessive d’amyloïdes beta comme cause principale de la maladie d’Alzheimer, avant de privilégier la piste d’une mauvaise élimination de ces protéines. Si le système glymphatique est altéré, le nettoyage de l’amyloïde beta l’est aussi. Pour la chercheuse, les implications sont claires : « Si nous parvenons à améliorer le fonctionnement du système glymphatique, cela pourrait offrir une nouvelle voie thérapeutique pour ralentir ou prévenir ces maladies. »
Coup de balai nocturne
De fait, les pulsations cardiaques ne sont pas les seules à agir sur la pulsatilité intracrânienne. Le cycle respiratoire, qui change la pression thoracique, a des répercussions directes sur les oscillations du liquide cérébrospinal. De même, les contractions et dilatations actives des muscles dans les parois vasculaires entrainent une pulsatilité intracérébrale lente. Pendant le sommeil, ces pulsations lentes, dites « actives », s’intensifient. Parallèlement, de fortes oscillations du diamètre des vaisseaux sanguins et des vagues du liquide cérébrospinal sont observées, laissant supposer que les toxines sont ainsi mieux évacuées. Des études en imagerie chez la souris et l’humain confirment en effet que le système glymphatique est plus efficace pendant le sommeil que pendant l’éveil.
Fascinée par ce lien entre sommeil et santé cérébrale, Alexandra Vallet décide donc, après deux ans de collaboration avec Éric Schmidt, de rejoindre une équipe de biologistes et de mathématiciens de l’université d’Oslo, Norvège, pour travailler sur cette thématique. De 2020 à 2023, elle mobilisera toute son expertise de physicienne pour mettre en équation, modéliser et simuler l’impact de ces pulsations actives sur les débits du liquide cérébrospinal.
La chercheuse suit des cours accélérés de physiologie du cerveau, et apprend à communiquer avec des experts d’horizons différents, qui ne partagent pas toujours le même vocabulaire. « J’ai eu la chance de rencontrer des personnes intéressées par ma démarche, et nous avons beaucoup appris les uns des autres », reconnaît-t-elle. « On ne peut pas être expert sur tout, donc il faut œuvrer ensemble pour progresser. Certes, cela demande du temps et des efforts, mais les objectifs sont ambitieux et en valent la peine. »
« Un environnement idéal »
Ces travaux de modélisation permettent des avancées significatives vers la compréhension des processus sous-jacents au système glymphatique. Mais laissent de nombreuses questions en suspens : pourquoi, par exemple, ce système fonctionne-t-il mieux dans certaines conditions que dans d’autres ? De retour en France, avec un poste permanent à Mines Saint-Étienne, Alexandra Vallet persévère dans ses recherches. « Puisque le cerveau se nettoie mieux durant cette période, nous pouvons imaginer qu’améliorer la qualité des pulsations nocturnes pourrait devenir une nouvelle cible pour ralentir les maladies neurodégénératives », avance-t-elle.
Pour démontrer ce lien physique entre pulsations pendant le sommeil, efficacité du nettoyage du cerveau, et effets au long terme sur l’évolution des maladies neurodégénératives, la chercheuse se lance dans l’exigeant montage d’un projet à soumettre prochainement à un appel ERC. « D’importants montants sont à la clé, donc il faut un dossier solide. Mais le Centre Ingénierie et Santé offre des conditions transdisciplinaires parfaites pour mener ce genre de recherche : pour recruter des patients, utiliser du matériel de pointe comme l’IRM, ou encore collaborer avec des spécialistes », s’enthousiasme-t-elle. La chercheuse est d’ailleurs en lien direct avec un expert du sommeil. « Le projet suscite beaucoup d’engouement. Pour le moment, je n’ai que des réponses positives pour de nouvelles collaborations ! », ajoute-t-elle. Toujours en collaboration avec Éric Schmidt et Sylvie Lorthois, Alexandra Vallet poursuit donc son exploration des mystères du cerveau. Avec l’espoir de réussir à ralentir, voire prévenir, les ravages des maladies neurodégénératives.