L’économie circulaire vise à minimiser l’impact environnemental en optimisant l’utilisation des ressources. Elle s’appuie sur trois principes fondamentaux, aussi appelés les 3R. Premier R : « réduire » la consommation de ressources et la production de déchets. Deuxième R : « réutiliser », en prolongeant la durée de vie des produits ou en leur trouvant de nouvelles fonctions. Et enfin : « recycler » en transformant les déchets pour créer de nouveaux produits. Ces 3R reflètent une hiérarchie de gestion des déchets. L’ordre dans lequel ils sont énoncés met ainsi l’accent sur la prévention des déchets avant leur gestion, et la prévalence de la réutilisation et du reconditionnement sur le recyclage.
Évidemment, les entreprises s’emparent de plus en plus de ce concept, tant pour des raisons de durabilité environnementale et économique, que pour satisfaire de nouvelles régulations. Néanmoins, « quand on se penche sur la littérature autour de l’économie circulaire dans un contexte industriel, les recherches sont essentiellement tournées vers la recyclabilité, donc les matériaux et la chimie. Peu d’attention est portée aux aspects logistique et organisationnel posés par cette thématique », souligne Ziqing Wu, doctorante au Centre Génie Industriel (CGI) d’IMT Mines Albi. « Il y a pourtant un vrai défi à relever. »
Sous la supervision de deux chercheurs du CGI, Matthieu Lauras (qui en est le directeur) et Raphaël Oger, la jeune chercheuse tente ainsi de concevoir des réseaux logistiques hyperconnectés pour améliorer la circularité. Ses travaux sont co-encadrés par deux autres chercheurs de l’université Georgia Institute of Technology (Georgia Tech), Benoit Montreuil, pionnier dans l’internet physique, et Louis Faugère, également Senior Applied Scientist chez Amazon.
Des travaux initiés par les besoins d’une start-up
Tout commence en 2021 lorsque les équipes d’IMT Mines Albi sont sollicitées par une start-up appelée Transition One pour être notamment accompagnée sur l’organisation de ses flux. La jeune entreprise est spécialisée dans le rétrofit électrique, qui consiste à donner une nouvelle vie aux véhicules thermiques en remplaçant le moteur et le réservoir par un moteur électrique et une batterie. En plus de l’électrification, la start-up ambitionne de recycler au maximum les pièces extraites des motorisations thermiques en fin de vie, et de maintenir un entretien perpétuel des véhicules convertis.
« À la base, nous n’avions pas de connaissances spécifiques sur le rétrofit, notre rôle était seulement d’intervenir sur le design des flux », relate Raphaël Oger, dont la spécialité est la conception de systèmes d’aide à la décision pour la planification des systèmes de production. L’équipe s’imprègne donc pendant plusieurs mois du processus logistique de Transition One et des défis techniques rencontrés par la start-up… jusqu’à que celle-ci mette la clé sous la porte en 2023 !
« Pour autant, nous avons continué à travailler sur ce sujet de circularité et gardé le contexte d’une chaîne logistique de rétrofit », reprend l’encadrant. De fait, l’industrie du rétrofit est circulaire par nature puisque comme le relève Ziqing Wu, « elle va au-delà du principe de la réparabilité ou du recyclage, en proposant de changer les fonctionnalités d’un produit pour l’améliorer. »
De l’évaluation de la demande à la conception d’un système d’aide à la décision
Au départ, l’ambition de l’équipe est d’être capable de quantifier la demande potentielle de rétrofit par zone géographique et type de véhicule. « Aujourd’hui, il n’y a pas d’historique de prévision de vente associée au secteur du rétrofit de véhicules. Nous nous sommes donc appuyés sur la base de données du système d’immatriculation des véhicules (SIV) pour avoir la quantité de véhicules possédés sur le territoire français et leurs caractéristiques, et ainsi estimer la demande, géographique et en volumes, pour ce service qui n’existe pas encore », détaille Raphaël Oger. À partir de cette information, les scientifiques peuvent ensuite accompagner des entreprises se lançant sur le marché du rétrofit pour concevoir et configurer une chaîne logistique courte et efficace.
Dans un réseau logistique, des structures différentes, de même que des fonctionnements différents des flux, vont avoir un impact écologique et financier, à la fois à l’exécution des diverses installations, et au global de l’écosystème. Pour en améliorer la circularité, les scientifiques cherchent à concevoir un système d’aide à la décision prenant en compte la localisation et le nombre d’installations, ainsi que leurs interactions. « Si une entreprise veut se lancer dans le rétrofit de véhicules thermiques, notre objectif est de lui apporter une solution pour qu’elle soit en mesure de concevoir et déployer un réseau logistique cohérent avec les principes de l’économie circulaire », réaffirme Ziqing Wu.
L’internet physique, un axe de recherche complémentaire
Ces réflexions autour de la conception circulaire et durable sont également alimentées par un axe portant sur l’internet physique (physical Internet). Ce champ de recherche pluridisciplinaire vise à interconnecter les différents acteurs et infrastructures logistiques qui fonctionnent généralement en silo. Thématique centrale du laboratoire Physical Internet Center de Georgia Tech, l’internet physique s’inspire des principes de l’internet numérique pour structurer et standardiser l’organisation de cette mise en réseau. Il propose ainsi un modèle logistique plus efficient, interopérable et durable, permettant notamment de réduire les coûts et l’empreinte écologique du secteur.
Exemple : un camion de livraison est généralement utilisé par et pour une seule entreprise, et voyage de fait rarement à plein. L’internet physique consiste alors à connecter différentes entreprises pour mutualiser la ressource, remplir le camion et améliorer l’efficacité logistique. En s’appuyant sur la littérature et l’expérience de ses encadrants, Ziqing Wu met ainsi à l’épreuve des idées conceptuelles, telles que l’adoption de modèles économiques privilégiant l’accès aux biens plutôt que leur possession, ou des usines mobiles et flexibles pour rapprocher le point de production du point de consommation. « Avec des idées assez génériques, nous essayons de décrire un système dans lequel le réseau logistique circulaire et l’internet physique se croisent. Cela nous aide à construire des scénarios où le réseau est plus ou moins orienté vers l’internet physique, et donc à concevoir nos systèmes d’aide à la décision », explique la doctorante. « Ces systèmes déterminent ensuite pour chaque scénario le nombre d’installations, leur localisation et leur taille. »
À chaque cas d’étude, un scénario optimal
Pour concevoir ces systèmes, qui sont en fait des modèles mathématiques, l’équipe utilise des techniques d’optimisation. Leur objectif : trouver l’optimum en faisant varier un certain nombre de variables décisionnelles. « Il ne s’agit pas de modéliser ce qui se passe opérationnellement dans l’usine », précise Raphaël Oger. « Mais plutôt de manière macroscopique, les différents éléments de la chaîne, les « nœuds » – les usines, centres de recyclage, de rétrofit, entrepôts, etc. – et les flux, comme par exemple les passages des camions. »
Outre la partie conception et simulation, Ziqing Wu travaille également à l’évaluation de la performance de ces systèmes. Les résultats dépendent évidemment des cas étudiés. La doctorante et son équipe mettent donc en comparaison les performances de différentes configurations pour un cas donné, avec des caractéristiques données. « Notre cas d’application de départ était le rétrofit de véhicule thermique en électrique mais l’idée est que notre travail soit généralisable et applicable à tous les secteurs d’activités », argumente Raphaël Oger. Bien qu’encore très en amont d’une offre clé en main pour des industriels ou des organisations gouvernementales ou non-gouvernementales, les recherches de Ziqing Wu, qui touchent à leur fin, ont permis une avancée notable sur le sujet et fourni suffisamment de matière pour le montage d’un prototype logiciel.