Premièrement, on doit disposer d’un accès Internet pour l’obtenir et faire la démarche. Quid des personnes âgées, handicapées ou isolées ? Des proches devront donc les aider à effectuer ces démarches sous peine de se voir refuser tout déplacement dans ces zones. Car si mon boulanger ou mon épicier habituel se trouve dans cette zone alors que je ne m’y trouve pas, je devrai avoir un code pour m’y rendre, par exemple. Deuxièmement, que va-t-il se passer pour les étrangers de passage à Paris durant cette période, que ce soit pour les JO ou pas? Devront-ils se déclarer? Certainement s’ils souhaitent se rendre dans ces zones ou y logent. Mais alors le site va être traduit en combien de langues? Comment communiquer cette obligation au niveau international pour que ces touristes fassent cette démarche avant leur voyage et ne se trouvent pas devant le fait accompli ? Ce ne sont là que quelques exemples parmi de nombreux cas qui vont se présenter dans les prochains mois. Aussi, de nombreuses questions se posent autour de la protection de la vie privée, de l’usage des données collectées et des croisements qui pourraient être faits, en fonction de quels critères surtout ?
On entre là dans une zone très incertaine dans la mesure où dans les systèmes technologiques, il y a beaucoup de subjectivité contrairement à ce qu’on peut penser. On croit déléguer l’identification à des algorithmes, en se disant globalement : «c’est la machine qui va faire le travail». Or c’est là où commence le problème éthique puisque ces dispositifs sont accompagnés, potentiellement, d’orientations en termes de principes et de valeurs. Qui va fixer la dangerosité d’une personne ? Bien sûr, on nous explique qu’il s’agit d’assurer la sécurité pendant les Jeux Olympiques, ce qui est très consensuel, et qui plus est de manière hypermoderne. Le QR code étant associé dans l’esprit de l’opinion publique à des formes d’innovation que l’on ne saurait refuser, ni contester.
Les analyses du philosophe et sociologue Herbert Marcuse sur les conséquences sociales de la technologie moderne avaient bien mis en évidence la façon dont un appareil auquel l’individu doit s’ajuster et s’adapter est devenu si rationnel que la contestation et la libération individuelles ne semblent pas seulement désespérées, mais aussi profondément irrationnelles : «Le système de vie créé par l’industrie moderne est un système hautement opportuniste, commode et efficace. Ainsi définie, la raison devient l’équivalent d’une activité qui perpétue ce monde. Le comportement rationnel devient identique à l’empirisme pratique qui enseigne une soumission raisonnable et garantit une bonne intégration à l’ordre dominant ». L’expérience de la soumission n’est alors pas vécue comme une restriction de l’agir, mais comme état de fait indiscutable, en rendant ainsi toute critique déplacée : «Toute contestation serait absurde et l’individu qui s’obstinerait à défendre sa liberté d’action passerait pour un hurluberlu». La situation décrite par Herbert Marcuse (en 1941) fait étonnement écho à nos modes de vie hypermodernes où les technologies sont omniprésentes, en apportant à nos existences beaucoup de commodité et d’efficacité. Or c’est là où elles peuvent agir comme des extincteurs de notre vigilance critique.