Si l’eau douce est incontestablement une des ressources les plus précieuses sur Terre, le suivi de sa qualité demeure aujourd’hui limité. « La plupart du temps, la démarche employée consiste à effectuer des prélèvements plusieurs fois par an », observe Anne Gaspar, cofondatrice de la start-up Lilaea. « Mais cela implique d’attendre les résultats de l’analyse réalisée par un laboratoire. De plus, entre deux prélèvements – même rapprochés – de multiples perturbations peuvent survenir… » Or, un tel événement peut entraîner des conséquences sur la qualité de l’eau potable, le niveau de pollution des cours d’eau, la biodiversité, etc.
Alors comment expliquer que cette ressource ne fasse pas l’objet d’un suivi plus rigoureux ? « En réalité, l’eau douce est déjà étroitement surveillée, mais davantage en ce qui concerne sa quantité, pour répondre aux urgences », note Anne Gaspar. « Les gestionnaires d’eau et les collectivités accordent en effet une attention particulière aux risques de sécheresse et d’inondation, notamment dans le cadre de la compétence GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, NDLR). » En outre, cette surveillance pâtit d’un manque d’outils adaptés aux cours d’eau peu profonds, la majorité des solutions existantes étant avant tout conçues pour les milieux marins.
Une station de surveillance de l’eau en temps réel
Ce constat a conduit deux passionnées des environnements aquatiques à créer la start-up Lilaea (à prononcer « Lila-é », du nom d’une naïade de la mythologie grecque). Élodie Géba – docteure en sciences de l’environnement, spécialisée dans la qualité des eaux douces et la bioremédiation – et Anne Gaspar – diplômée d’une licence en biologie et d’un master en génie industriel et systèmes embarqués – ont uni leurs compétences afin de faciliter la surveillance des eaux douces, pour mieux les protéger.
Lilaea propose premièrement une station de surveillance permettant de suivre, en temps réel et en permanence, la qualité physico-chimique de l’eau. Parmi les paramètres étudiés figurent, par exemple, le pH et la quantité d’oxygène dissous, qui peuvent avoir un impact significatif sur la biodiversité. De même, la turbidité – qui caractérise l’aspect trouble d’un liquide – constitue un indicateur de présence de matière en suspension et de microorganismes. « Notre station suit aujourd’hui six valeurs physico-chimiques, mais ce nombre va prochainement augmenter, car nous pouvons embarquer davantage de capteurs », annonce Anne Gaspar.
Grâce à ce suivi en temps réel, la solution de Lilaea peut émettre rapidement des alertes, afin d’agir au plus vite en cas de perturbation. Par exemple, la start-up est intervenue lors des chantiers de dragage consécutifs aux inondations ayant frappé les Hauts-de-France au début de l’année. Cette opération, consistant à gratter le fond d’un cours d’eau pour y extraire des sédiments, n’est pas sans conséquences sur les propriétés des eaux, comme leur turbidité. « Nous avions positionné des stations de surveillance en amont et en aval », indique Anne Gaspar. « En comparant les données au niveau de ces deux points, nous pouvions en particulier suivre l’évolution de la turbidité et, dès qu’un seuil était franchi, nous envoyions un message d’alerte au chef de chantier, afin qu’il ralentisse les travaux. Il pouvait ensuite reprendre lorsque les valeurs revenaient à la normale, ce qui limitait l’impact du dragage sur l’environnement. »
Profondeur réglable et écoconception
S’il existe d’autres solutions de suivi en temps réel, le dispositif de Lilaea se distingue par sa compacité, mais aussi par la possibilité de l’installer à l’emplacement et à la profondeur souhaités. « Notre station a été conçue de sorte à fonctionner également au sein de zones peu profondes, notamment grâce à une prise de données à une position fixe », souligne Anne Gaspar. « Dans de tels endroits, le risque est en effet de voir des sédiments fausser les informations recueillies par les capteurs, et donc leur interprétation. » Par exemple, la start-up a pu accompagner une collectivité territoriale dans l’analyse des rejets pluviaux, en positionnant une station de surveillance à moins de 20 cm de profondeur.
De plus, afin de préserver l’écosystème dans lequel elle est placée, le produit bénéficie d’une écoconception, en bois, sans colle ni vernis susceptibles de perturber la faune et la flore.
Un sous-marin téléguidé pour approfondir l’analyse
« Notre valeur ajoutée vient aussi de notre expertise, que nous mettons à disposition de nos clients », ajoute Anne Gaspar. « Nous ne nous contentons pas de leur fournir des données brutes, nous les aidons à les interpréter, à identifier les origines des perturbations et à mettre en place un plan d’actions adéquat pour résoudre le problème. » De cette façon, Lilaea propose aux gestionnaires d’eau un accompagnement complet afin d’optimiser leur gestion de la qualité.
Pour aller plus loin dans la surveillance des eaux douces, la start-up mène également une ambitieuse démarche de R&D. Son projet prioritaire à l’heure actuelle consiste en un sous-marin téléguidé, capable d’approfondir l’analyse en temps réel réalisée via les stations de surveillance. « Les deux dispositifs sont complémentaires : le sous-marin interviendra en appui sur une zone de surveillance délimitée grâce aux informations recueillies par une station », précise Anne Gaspar. « Il pourra suivre finement une perturbation grâce à des capteurs embarqués et, à terme, il proposera des fonctionnalités plus avancées : détection de métaux, module de prélèvement, inspection visuelle, modélisation des fonds… » Des innovations sur lesquelles travaille Lilaea et qui pourraient faire l’objet de brevets à l’avenir. Si une première version a déjà été testée en 2023, l’entreprise œuvre actuellement à améliorer sa conception, avec une commercialisation prévue en 2026.
Accompagner les professionnels et sensibiliser le grand public
Par ailleurs, au-delà de la surveillance, la start-up met son expertise à la disposition des entreprises et des collectivités, à travers des prestations de conseil, d’audit et de formation. Le but : aider ces dernières à mieux intégrer l’eau dans leur stratégie, à préserver cette ressource et à se conformer aux réglementations en la matière. Par exemple, les organisations peuvent estimer et trouver comment réduire leur « empreinte eau » – à l’image de l’empreinte carbone –, en fonction de leurs usages, du matériel qu’elles emploient, de leurs fournisseurs…
Mais Lilaea ne souhaite pas s’adresser qu’aux professionnels. La start-up propose également des ateliers ludiques de sensibilisation, à destination du grand public, enfants comme adultes. « Nous souhaitons porter une démarche de vulgarisation sur les questions autour de l’eau, tout en contrebalançant l’effet anxiogène souvent induit par les médias », explique Anne Gaspar. Ainsi, avec le jeu Shar’Eau, l’entreprise sensibilise le public et les organisations aux problématiques de répartition de l’eau dans le monde et aux solutions permettant d’y répondre. Une façon ludique de montrer comment chacun, dès le plus jeune âge, peut agir pour préserver cette ressource inestimable.