Au sein de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, le système bancaire classique s’est peu développé : d’après la Banque mondiale, seuls 19 % de leur population possède un compte ou une carte bancaire. Pour combler ce manque, les opérateurs de téléphonie mobile, largement plus implantés, proposent des solutions de portefeuille virtuel via le smartphone : le « mobile money ». Ces applications sont aujourd’hui couramment employées dans ces pays, avec plus de 200 millions d’utilisateurs actifs et de 800 milliards de dollars de transactions en 2022, d’après la GSM Association. Ainsi, le taux d’inclusion financière – qui traduit l’accès d’une population à des services financiers, comme les paiements, les transferts ou les retraits d’argent – passe de 19 % à 63 % en incluant le mobile money, toujours selon la Banque mondiale.
« Malheureusement, chaque opérateur a développé sa solution de son côté, ce qui complique l’interopérabilité entre les applications », regrette Mike Toko Worou, cofondateur et CEO de GOBIWORLD. Par exemple, il était jusqu’alors impossible, pour un utilisateur, de transférer de l’argent depuis son application mobile money vers un portefeuille virtuel géré par un opérateur différent, vers un autre pays d’Afrique ou vers un compte bancaire traditionnel, et inversement.
Faciliter les transactions financières depuis et vers le mobile money
Mais grâce à GOBI APP, l’application mobile développée par GOBIWORLD, ces actions sont désormais réalisables simplement. « Nous permettons aux différentes solutions de mobile money de s’interconnecter entre elles, mais aussi de se connecter aux réseaux bancaires classiques, notamment en Europe, au bénéfice de la diaspora africaine », présente Mike Toko Worou. « Nous facilitons ainsi l’échange de flux financiers, sans devoir recourir systématiquement au dépôt et au retrait d’espèces. »
Par exemple, un utilisateur en Europe peut envoyer, directement depuis son smartphone, de l’argent à sa famille au Bénin, celle-ci le recevant sur son propre portefeuille virtuel. « Jusqu’à présent, l’opération consistait à se rendre dans un établissement de services financiers, tel que Western Union », décrit Mike Toko Worou. « Il fallait alors faire la queue, espérer que tout fonctionne et qu’ensuite, le bénéficiaire se rende à son tour en guichet pour retirer l’argent en liquide. » GOBI APP représente ainsi un gain de temps, de fiabilité et de sécurité.
Et d’autres fonctionnalités viennent compléter la liste de services de l’application, à l’image de la cagnotte internationale en ligne. Celle-ci offre la possibilité de collecter de l’argent provenant d’utilisateurs du monde entier, même si ceux-ci ne sont pas bancarisés. La somme récoltée est ensuite transférée vers le portefeuille de mobile money du bénéficiaire. « Car aujourd’hui, pour contribuer à une cagnotte en ligne sur un service comme Leetchi, il faut posséder un compte ou une carte bancaire », observe Mike Toko Worou. « Le constat vaut d’ailleurs aussi pour Amazon : une grande partie de la population africaine ne peut pas passer commande sur la plateforme, pour les mêmes raisons. »
Blockchain et API
Mais comment GOBIWORLD parvient-elle à interconnecter les opérateurs de mobile money ? L’entreprise a tout d’abord passé deux ans sur le développement de son socle technologique, sur lequel repose aujourd’hui son application. « Notre cœur de métier est de permettre à deux plateformes qui ne se connaissent pas d’échanger des flux financiers de façon sûre », indique Mike Toko Worou. « Afin de jouer ce rôle de tiers de confiance, nous avons recours à la blockchain. Nous envoyons ainsi des messages chiffrés, qui seront décodés au moyen d’une clé, et nous écrivons des informations infalsifiables dans plusieurs blockchains, de sorte à garantir l’intégrité et l’authenticité des transactions. »
Ce socle n’est toutefois pas suffisant : encore faut-il y connecter les différentes plateformes. Si, pour le système bancaire traditionnel, la tâche est facilitée par l’open banking, elle s’avère plus complexe sur le mobile money, en raison de la diversité des solutions. « Nous avons besoin que les opérateurs nous mettent à disposition leur API, qu’ils ne partagent pas avec tout le monde », dévoile Mike Toko Worou. « Pour cela, nous devons justifier auprès d’eux l’utilisation que nous en ferons. En revanche, une fois l’API disponible, nous pouvons intégrer l’opérateur à notre solution en une journée. » Si les premiers partenaires étaient méfiants, les discussions sont désormais rendues plus fluides par les perspectives de développement offertes et par le succès de l’application. Celle-ci, lancée en novembre dernier en version bêta, compte en effet plus de 600 utilisateurs.
Théorie des graphes et intelligence artificielle
Par ailleurs, le socle technologique de GOBIWORLD vise également à optimiser le mécanisme de compensation entre établissements financiers, qui permet à chacun d’entre eux de recevoir ce qui lui est dû et de verser ce qu’il doit, les montants étant calculés à partir de l’ensemble des opérations réalisées pour le compte de leurs clients. Ce processus est généralement opéré par un acteur intermédiaire : une chambre de compensation. « Étant donné que nos transactions impliquent des banques et des opérateurs mobiles, situés dans différents pays, le système de compensation est plus compliqué qu’avec un réseau bancaire classique et peut générer un grand nombre de flux », explique Mike Toko Worou. « Notre solution permet de réduire cette quantité de transactions, en déterminant le chemin optimal, via la théorie des graphes. »
Enfin, GOBIWORLD s’appuie sur l’intelligence artificielle pour classer les utilisateurs en fonction de leurs usages et, in fine, leur proposer des offres adaptées à leur profil. De même, l’IA sert à détecter des anomalies, qui peuvent alerter quant à d’éventuelles irrégularités sur les transactions concernées.
De l’application mobile B2C au modèle intégré B2B2C
Ces différentes briques technologiques sont aujourd’hui essentiellement exploitées par l’application GOBI APP, disponible dans trois pays : le Bénin, le Cameroun et la Côte d’Ivoire. Une liste qui devrait prochainement s’agrandir, avec l’arrivée, en premier lieu, d’autres États francophones, tels que le Burkina Faso, le Togo ou le Sénégal. Pour soutenir sa croissance, GOBIWORLD compte s’appuyer sur une levée de fonds d’ici à la fin de l’année, d’environ un million d’euros, mais aussi sur l’accompagnement de TechForward, le nouvel incubateur réunissant l’EDHEC, EURECOM et l’Institut Mines-Télécom.
Néanmoins, dans les pays où elle est déjà implantée, GOBI APP est soumise à des contraintes réglementaires strictes, qui freinent son expansion. Un écueil que la start-up avait anticipé. « En réalité, l’application ne représente que la partie visible de l’iceberg », souligne Mike Toko Worou. « Elle nous permet de valider le concept auprès des utilisateurs finaux, mais l’ambition de GOBIWORLD est d’intégrer notre technologie directement auprès des opérateurs, dans un modèle B2B2C. » La start-up a d’ailleurs déjà entamé des discussions avec deux acteurs intéressés. Dans l’objectif de rendre sa technologie accessible au plus grand nombre et de contribuer ainsi à l’inclusion financière en Afrique.