Difficile de s’y soustraire. Que ce soit pour régler des problèmes de carte bancaire, d’assurance, ou encore clarifier vos factures de téléphonie ou d’énergie, l’appel au service clientèle est aujourd’hui un passage obligé si vous souscrivez à n’importe quel type de contrat. À supposer que votre prestataire de service n’ait pas déjà (encore ?) délégué la tâche à un agent logiciel dématérialisé – autrement dit, un « bot » – cet échange avec une personne de chair et d’os ne vous offrira pas forcément une réponse satisfaisante. Il n’est effectivement pas rare qu’une question un tant soit peu spécifique ou complexe reste sans réponse, générant trouble et frustration de votre côté, comme du côté des conseillers et conseillères désarmés.
L’avenir du service clientèle est-il pour autant d’aller vers une complète automatisation, soutenue par des bots, ou bien l’humain a-t-il encore un rôle à y jouer ? Pour Alice Coatalem, directrice commerciale de CogNeed AI, la réponse est claire : « le contact humain est encore essentiel dans les relations clientèles, à condition que les équipes de conseil soient bien outillées. » En effet, une expérience client peu satisfaisante s’explique généralement par un manque de ressources ou de formation des agents, des systèmes informatiques inadaptés ou désuets, ou encore des processus internes compliqués ou mal conçus, qui entravent l’accès rapide aux informations requises.
Cette situation souligne de facto l’importance d’investir dans des technologies et des formations appropriées pour répondre optimalement aux demandes des clients, clientes. C’est un peu comme conduire sans GPS de nos jours : on peut toujours utiliser une carte mais pourquoi se priver d’un outil technologique aussi efficace ? Ce « GPS du service clientèle », c’est l’offre de la start-up CogNeed AI : un assistant conversationnel qui utilise l’intelligence artificielle (IA) pour accompagner en temps-réel les équipes de support.
« Réhumaniser » les échanges
Derrière cet outil, deux amis d’enfance – Erwan Demont, « l’entrepreneur », et Tanguy Coatalem, l’expert technique – qui souhaitent s’appuyer sur les connaissances en apprentissage automatique de ce dernier pour se lancer dans l’entreprenariat. Le duo est complété par Alice Coatalem, la mère de Tanguy, qui leur soumet l’idée de départ : au cours d’une longue carrière chez Hewlett Packard Entreprise, elle a constaté les difficultés rencontrées par le personnel en charge de la relation client. « Les équipes sont peu aidées au cours de leurs appels. Et il y a notamment une vraie problématique autour du traitement en temps réel », soulève-t-elle.
Ce sera la raison d’être de leur start-up : libérer les équipes de conseil de scripts « robotisants », tout en leur permettant d’être claires, précises et performantes. Leur solution : traiter par l’IA les conversations téléphoniques, et proposer au fil des échanges des réponses, avec des éléments de langage, ou encore des liens vers des outils ou des formulaires.
Lancée en mars 2019, la start-up CogNeed AI rejoint rapidement l’Incubateur de Télécom Paris pour une période de 18 mois au cours de laquelle le trio fondateur se familiarise avec l’entreprenariat et mature la technologie de son produit.
Une commande vocale pour pousser du contenu en temps réel
Le traitement de la voix en temps réel est encore peu exploité dans ce secteur. Des solutions existent mais fournissent des informations d’analyse et d’accompagnement après appel, sur la base d’enregistrements. La construction d’une IA capable de faire de l’aide vocale en temps réel est donc la valeur ajoutée de CogNeed AI, mais aussi un défi technique qui a nécessité environ deux ans de développement.
Une des problématiques rencontrées dans la conception de cette IA est l’accès à des jeux de données pour l’entraîner, en l’occurrence des conversations téléphoniques. Pour contourner les difficultés que peuvent poser l’accès en France à des conversations commerciales, CogNeed AI a collaboré avec une entreprise américaine, CONQUER (appelée à l’époque DialSource). « Nous avons ainsi eu accès à un très large jeu de données pour tester nos premières itérations de modèles, et lever un premier verrou technologique crucial pour notre proposition de valeur », détaille Alice Coatalem.
L’équipe a ensuite procédé par tâtonnements pour résoudre aussi bien des problèmes linguistiques — tels que le traitement des accents, du débit de parole, l’intégration de jargon ou des noms de concurrents — que des problèmes techniques, comme les accès au micro depuis différents navigateurs internet. « Ce sont des essais et des essais avant d’obtenir une solution fiable et stable, présentable à des clients », souligne Erwan Demont. Mais également un outil international : CogNeed AI est aujourd’hui disponible en 99 langues.
Derrière l’agent conversationnel, des bases propres à chaque client
Au départ, CogNeed AI opérait « seulement » du traitement de langage en direct sur les conversations téléphoniques. Désormais, le système propose également des résumés d’appel, un chat ou encore des outils d’amélioration continue. Un progrès lié à l’émergence de l’IA générative – popularisée par l’agent conversationnel ChatGPT. CogNeed AI fait pour cela appel à un grand modèle de langage (ou LLM, pour Large Language Model en anglais) qui lui permet notamment d’afficher du contenu via un prompt, comme le fait ChatGPT.
Pré-entrainé sur des scénarios d’appels, le modèle est ensuite personnalisé à l’environnement client en s’appuyant sur des bases de documents spécifiques. « Nous aidons notre algorithme à comprendre le vocabulaire, les acronymes ou les néologismes propres à chaque client pour qu’in fine les recommandations délivrées soient bien spécifiques à ce client, et non à ses concurrents ». L’intérêt de ces bases est de capitaliser sur des questions et réponses spécifiques du métier de la relation client, qui sont a priori souvent les mêmes, pour préparer du contenu.
« Si on pose 1 000 fois la même question à une IA générative classique, celle-ci facturera 1 000 requêtes, gaspillant de la puissance de calcul et augmentant le bilan carbone pour une réponse dont on dispose déjà », argumente Alice Coatalem. Le LLM de CogNeed AI permet donc d’automatiser le traitement des bases de documents et l’ensemble des contenus à pousser en temps réel sur le prompt de l’agent. En plus d’être économique, la réponse est toujours la même pour une même question, ce qui n’est pas le cas de l’IA générative : « C’est à la fois rassurant pour les équipes utilisatrices, et plus simple en matière d’appropriation », conclut la directrice commerciale.
« Dans les clous » de la règlementation européenne
En plus d’intégrer les dernières innovations autour de l’IA générative, la start-up peut se targuer d’être exemplaire en matière de sécurité et de règlementation. Quoique déployée à l’international (en Colombie, dans les pays du Maghreb, ou encore à Madagascar), la solution de CogNeed AI respecte le très strict cadre de la règlementation européenne.
« Cette mise en conformité complexifie pas mal de choses mais c’est un vrai différenciateur, et cela sécurise nos clients », explique Erwan Demont. « Nous faisons notamment tourner des modèles propriétaires et hébergés en France. Nous avons aussi fait en sorte de pouvoir nous passer des enregistrements audios : les échanges téléphoniques sont donc transcrits au fil de l’eau et aucune donnée audio n’est stockée. »
Encore de nombreuses cordes (vocales) à son arc
La solution de CogNeed AI a été testée et a démontré sa fonctionnalité par un impact significatif sur l’efficacité du service client ou la concrétisation commerciale, en comparaison avec des groupes contrôles. « Comme pour l’adoption de tout nouvel outil technologique, le panel de réactions est très large et dépend beaucoup de l’accompagnement des managers dans la gestion du changement », mesure Alice Coatalem. « Nous essayons d’infuser les bonnes pratiques auprès de nos clients, et d’améliorer le dispositif grâce à un processus de retours continus. »
L’équipe de CogNeed AI ne cache pas avoir de nombreuses possibilités pour enrichir la proposition de valeur de son outil, en combinant les technologies dont elle dispose déjà, mais également en restant à l’affut de l’état de l’art. « Notre problème, c’est surtout de prioriser les pistes », déclare avec enthousiasme Erwan Demont. Parmi elles, l’intégration de systèmes de gestion organisationnelle ou de bases de clientèle (ERP, CRM), ou encore le renforcement de la technologie du traitement de langage pour une analyse encore plus sensible de la voix (ton, vitesse…) et des émotions associées. Ceci, afin de renforcer encore et toujours la pertinence des réponses transmises aux clients et clientes.