Fausses données pour vrai diagnostic
« Notre proposition scientifique est de compléter les algorithmes d’EPSI, basés sur des règles, par des réseaux de neurones », expose Frédérick Benaben. L’intérêt de ces réseaux ? Plus on leur fournit de données, plus ils sont précis et efficaces. « Le problème, c’est justement de les alimenter », tempère le chercheur. « Car EPSI œuvre sur des sites sensibles, sur lesquels il est compliqué de partager des données. » La première contribution d’IMT Mines Albi sera donc de générer des données de synthèse pour entraîner les réseaux neurones : d’abord sur des objets indéformables (drones, véhicules…), puis sur des objets « déformables » (humains, animaux…) plus complexes à interpréter.
Une manière de « fabriquer » des données pour un objet indéformable est d’enregistrer la signature radar de l’objet sous plusieurs angles, comme une photographie, de générer une trajectoire fictive et d’y associer les signatures correspondant aux points de vue du radar sur cette trajectoire. Une grande quantité de fausses données peut ensuite être obtenue en simulant informatiquement des combinaisons de trajectoires possibles et de signatures radar. Une autre manière est de faire de « l’augmentation », c’est-à-dire de générer des données à partir de données existantes « comme une photo manipulée sous plusieurs angles, zoomée ou décalée sur un côté, qui donnerait d’autres photos ».
Pour la représentation des objets déformables, les scientifiques explorent notamment la piste de l’addition de mouvements diagnostiqués, en clair : est-ce que la signature d’une personne qui marche correspond à la superposition de la signature d’un bras en mouvement, d’une jambe, de deux jambes, etc. ? « Il y a à priori peu de variabilité entre les individus, donc nous espérons que la signature est sensiblement identique entre deux personnes qui font la même chose. » L’expertise d’EPSI sera particulièrement précieuse sur cette étape.
Des réseaux de neurones spécialisés
Plutôt que de créer un seul système de détection généraliste, à priori complexe à entraîner, les équipes de recherche de RadaR-IO envisagent de développer plusieurs types de réseaux de neurones, avec des compétences différentes et complémentaires. La mise en parallèle de plusieurs réseaux de neurones plus ou moins spécialisés augmenterait la précision des diagnostics.
Seul hic. « On peut imaginer développer un réseau de neurones spécialisé sur les petits animaux ou sur les véhicules par exemple. Le problème, c’est que nous ignorons comment ils fonctionnent et quelles sont leurs règles de classification ! », révèle Frédérick Benaben. « Difficile donc d’anticiper si la taille ou la façon de se déplacer sera un critère de classification. » Cette étape d’entraînement pose aussi la question du niveau de précision : est-il pertinent que le système sache différencier un lapin d’un chat par exemple ?
Les données de synthèse seront donc soumises aux différents réseaux de neurones développés et le défi des scientifiques, sous la coupe d’Aurélie Montarnal, également chercheuse à IMT Mines Albi, sera de comprendre ou d’interpréter ce qui en sort. L’efficacité des systèmes développés in fine devra être comparée à celles des outils de diagnostics dont dispose actuellement EPSI.
Place à l’action !
Une fois les données des radars récupérées et interprétées, l’ambition de RadaR-IO est de proposer une offre complémentaire de recommandations, voire de mesures déclenchées en direct, en fonction de ce qui est détecté. « Ce qui nous intéresse, au-delà du simple diagnostic, c’est l’automatisation, la semi-automatisation et la proposition d’actions qui sont également dans notre domaine de compétences », soutient Frédérick Benaben. L’intégration d’aides à la gestion de crise doit logiquement prendre en compte le marché d’EPSI et les besoins de ses clients.
Une alerte sur un site surveillé peut impliquer une procédure simple et directe : lancer des ultrasons si des oiseaux sont détectés dans un aéroport, ou établir un périmètre de sécurité autour d’une œuvre d’art par exemple. « En revanche, dans le cas d’un établissement pénitencier, l’éventail d’options est beaucoup plus élaboré. Ce n’est pas parce que le système identifie une personne qui rampe, qu’il faut lui tirer dessus », relève le chercheur. « Ces bâtiments sont soumis à un ensemble de règles auxquelles nos outils doivent également se soumettre. »
Ces règles sont généralement prescrites dans une documentation dense et complexe, mais depuis laquelle des outils d’IA peuvent extraire des données exploitables en consignes. Celles-ci viendraient ensuite alimenter des mécanismes d’exploitation et de réponse au diagnostic radar. « Nous n’en sommes pas encore là, mais ce sont des travaux que nous explorons par ailleurs et qu’il nous semble vraiment intéressant d’intégrer dans ce contexte-là », projette Frédérick Benaben.