Les bâtiments intelligents – « smart buildings » en anglais – représentent une évolution majeure dans le domaine de la construction, et une révolution dans l’occupation des lieux, de vie comme de travail. Ces structures intègrent des systèmes de gestion intelligente qui collectent et analysent des données en temps réel, permettant entre autres de réduire la consommation d’énergie et de faciliter la maintenance préventive. Ils assurent également la sécurité, comme l’état de fonctionnement des ascenseurs et défibrillateurs, ou la détection des entrées et sorties.
Ces bâtiments offrent en outre de nombreuses fonctionnalités telles que l’automatisation des systèmes de chauffage, ventilation, climatisation, l’éclairage ou encore des applications de domotique et d’internet des objets (IoT). La convergence de toutes ces technologies avancées de construction, de communication et de contrôle, participe à créer un environnement flexible, efficace, confortable et sécurisant pour les occupants et occupantes.
Cette « intelligence » fait néanmoins appel à un large éventail de capteurs, d’activateurs et de programmes logiciels, dont le déploiement pose à la fois des questions de charge matérielle, de sécurité et de coût. Pour y remédier, les chercheurs Daqing Zhang et Xujun Ma, de Télécom SudParis, étudient l’exploitation des signaux sans-fil pour alimenter des capteurs radiofréquences (RF) existants qui « ressentent » mieux l’environnement et fournir des réponses adaptées. Leurs travaux s’inscrivent dans le cadre d’un projet européen, SUST(AI)N, dont l’objectif est de créer un bâtiment de travail « conscient », à l’aide de dispositifs RF connectés et durables.
Des bâtiments « sensibles », centrés sur l’humain
SUST(AI)N est l’acronyme de « Smart bUilding Sensitive To dAily sentiment », littéralement un bâtiment intelligent, sensible au sentiment quotidien. Si le nom évoque à la fois la durabilité (sustainability) et l’intelligence artificielle (IA), c’est avant tout de « conscience » (en anglais « awareness ») qu’il s’agit sur ce projet. « Actuellement, les bâtiments intelligents procèdent au traitement ‘inconscient’ des informations remontées par leur réseau de capteurs », expose Daqing Zhang. « L’ambition de SUST(AI)N est de faire de ces bâtiments des organismes dont la conscience découle de la compréhension globale de tout ce qui s’y passe, et de l’auto-contrôle ». Dans ce but, les équipes de recherche s’appuient sur des dispositifs connectés, combinant détection hautement précise – quasi-omnisciente – intelligence distribuée et probabilités.
Pour simplifier, ces dispositifs exploiteront les signaux sans fil ou RF déjà émis par des dispositifs commerciaux existants au sein des futurs bâtiments « conscients ». « De nos jours, toutes les salles de bureau bénéficient d’un accès au signal Wifi, et tout le monde possède un smartphone 4G ou 5G », argumente Daqing Zhang. « Jusqu’ici ces signaux étaient seulement utilisés pour la communication sans fil mais dans ce projet, nous voulons les utiliser pour faire également de la captation. Chaque type de signal a ses forces et faiblesses, et peut donc être utilisé pour capter différentes informations. »
De fait, le projet SUST(AI)N explorera principalement l’utilisation de ces signaux pour la captation d’activité humaine. Certains pour localiser des personnes dans le bâtiment – afin d’assurer la sécurisation de pièces sensibles par exemple – ou détecter le taux d’occupation d’une pièce pour en gérer l’éclairage ou le chauffage. D’autres pour faire de la reconnaissance de mouvement et de posture, ou encore pour le suivi de signes physiologiques, comme le rythme cardiaque ou la respiration, afin d’identifier un éventuel malaise.
Des signaux sans fil aux potentiels variés
Avec Stephan Sigg, coordinateur du projet et chercheur à l’université Aalto (Finlande), Daqing Zhang n’en est pas à son coup d’essai. C’est la troisième fois que les deux scientifiques, qui évoluent au sein de la même communauté de recherche autour de l’informatique omniprésente (ubiquitous computing), collaborent sur un projet européen. Une force dont a bénéficié le projet SUST(AI)N, déjà bien avancé depuis son lancement le 1er octobre 2022. Parmi les différents types de signaux RF existants, les scientifiques d’Aalto et de Télécom SudParis ont déjà exploré des pistes autour de la RFID et du LoRa.
La RFID peut être utilisée pour la localisation ou le suivi de données physiologiques, grâce à la lecture passive d’une balise, appelée « tag ». Cet usage implique néanmoins que chaque personne circulant dans le bâtiment soit porteuse d’une balise, et que suffisamment de liseuses RFID y soient disséminées car la gamme de transmission du signal est de courte portée. Les équipes ont donc privilégié une exploitation pour la reconnaissance des gestes de la main et le contrôle de la respiration de plusieurs sujets dans une même pièce. Le LoRa, lui, est un signal résultant du protocole de communication LoRaWAN (pour Long-Range Wide-Area Network, « réseau étendu à longue portée »), utilisé pour l’IoT. Il nécessite peu d’énergie et sa très longue portée de captation – dix fois supérieure à celle du Wifi – le rend aussi intéressant pour localiser les personnes, ou détecter une présence dans un couloir ou un parking.
Les recherches autour de l’utilisation du Wifi sont une étape clé à venir du projet. « C’est une mission sur laquelle nous n’avons pas encore commencé à travailler mais que nous devrions aborder cette année », projette Daqing Zhang. À la différence du signal RFID, le Wifi ne nécessite ni balise, ni lecteur de signal, seulement le téléphone ; il devrait être exploité pour capter des données physiologiques comme la respiration, mais également le rythme cardiaque et d’autres activités humaines.
À terme, un bâtiment de démonstration
L’exploitation des signaux sans fil pour la captation n’est qu’un des piliers technologiques du projet qui s’appuie également sur l’expertise de trois autres partenaires académiques, situés en Espagne, en Italie et en Turquie. Un axe de travail est notamment dédié à la mise en place d’un réseau intelligent distribué afin de connecter tous les capteurs et traiter statistiquement les données à l’aide d’algorithmes d’IA. Des protocoles cryptographiques seront développés pour protéger les données recueillies.
Outre le fait que ces technologies sont pensées pour être les moins énergivores possibles, un axe de recherche est dédié à la collecte d’énergies ambiantes pour en assurer le fonctionnement. « Nos partenaires de l’université polytechnique de Catalogne, en Espagne, étudient différentes sources d’énergie potentielles, comme l’énergie solaire ou thermique, mais aussi la collecte de l’énergie à partir des signaux radiofréquences », développe Daqing Zhang.
Les différentes technologies développées seront intégrées au fur et à mesure dans un bâtiment pilote. Construit sur le campus de l’université Aalto, en Finlande, ce bâtiment, encore vide pour le moment, servira de vitrine pour toutes les innovations. Cette année Télécom SudParis devrait y envoyer un membre de son équipe, pour une durée de quelques mois, afin de discuter avec les partenaires locaux de l’intégration des développements, et des applications et cas d’usage. Il n’est effectivement pas dit que toutes les fonctions développées, dont certaines soulèveront potentiellement des questions éthiques, soient déployées in fine. « Nous verrons d’abord où nous mènent tous nos efforts sur les différentes innovations technologies au fil des deux, trois prochaines années », conclut Daqing Zhang.