Open data : la France veut ouvrir les données publiques de transport
Jeudi 12 mars 2015, au NUMA, le Secrétaire d’Etat chargé des Transports, Alain Vidalies, a reçu le rapport du Comité de débat sur l’ouverture des données publiques de transport. Selon ce rapport, ouvrir ces données serait source de risques, mais aussi d’opportunités, en permettant d’améliorer la qualité de vie des usagers et d’apporter de l’innovation dans les services. Sous quelles conditions pourraient-elles être valorisées ? Réponse avec Francis Jutand, directeur scientifique de l’Institut Mines-Télécom, qui a piloté les travaux du Comité de débat.
De quoi parle-t-on quand on parle de « données publiques » ?
Francis Jutand : Les données publiques sont celles dont la création a été financée, pour tout ou partie, par de l’argent public. Il y a deux sources de données publiques : les données administratives dont l’ouverture permet l’information du citoyen ; et celles que j’appelle « données d’intérêt général », dont l’ouverture permettrait de réaliser un certain nombre de services pour les utilisateurs. Par exemple, dans le cas des données de transport, un calculateur de transport multimodal pour aider les personnes à planifier leurs déplacements.
Ce qui se joue dans l’ouverture des données ce n’est pas uniquement l’accès mais la capacité de réutilisation. Par exemple, les données sur les impôts des citoyens sont accessibles mais pas réutilisables. N’importe qui peut aller les chercher et les consulter, mais n’a pas le droit de s’en servir pour développer des services particuliers ou informer le grand public. Là on parle de l’ouverture des données réutilisables.
Pourquoi le gouvernement français veut-il ouvrir les données publiques de transport ?
Francis Jutand : Cette volonté s’inscrit dans un mouvement général d’ouverture des données publiques, qui a été initié par le développement d’Etalab, le laboratoire qui travaille sur l’ouverture, l’utilisation et l’enrichissement des données publiques, et par la création d’un administrateur général des données en France, Henri Verdier. Elle s’est traduite par la proposition d’organiser cinq grands débats, dont trois ont déjà eu lieu : sur la santé, sur le logement et sur les données de transport.
Nous sommes dans un environnement où tous les modes de transport (avion, train, voiture, autobus…) sont maintenant en concurrence. Il faut donc disposer des données publiques et privées si on veut pouvoir créer des services. Justement, la Commission européenne a déjà demandé l’ouverture des données dans le domaine de la route, qu’elles soient d’origine publique ou privée, pour améliorer la sécurité des usagers. Et elle est en train de regarder comment ouvrir ces données publiques et privées de façon à ce qu’on puisse faire des calculateurs d’itinéraires routiers, etc. Donc ça bouge en Europe.
Pour l’instant, en France, on a plutôt un « gruyère » : certaines données sont ouvertes, d’autres non, ce n’est pas cohérent. Pourtant, il y a une attente des utilisateurs et d’autres secteurs d’activité pour utiliser ces données de transport. La solution est de les ouvrir toutes, et le levier qu’utilise Etalab est la loi CADA* (Commission d’accès aux documents administratifs) qui porte sur l’ouverture des données administratives.
Quels problèmes cela pose-t-il et comment les dépasser ?
Francis Jutand : Les objections portaient principalement sur le fait qu’il y a dans la loi CADA elle-même des restrictions, liées à des aspects de confidentialité ou de secrets commerciaux. Nous sommes donc arrivés à recommander l’ouverture des données publiques de transport selon trois catégories :
- Ouverture sans restriction
- Ouverture soumise à certaines formes de contrainte, notamment pour des raisons de sécurité : on prend toujours le même exemple, le tunnel du Fourvière bloqué suite à un accident. Les calculateurs d’itinéraire peuvent amener à dévier du trafic devant des écoles ou créer des embouteillages. Le gestionnaire de la crise doit pouvoir reprendre le contrôle de ces données pour éviter les problèmes en cascade.
- Enfin, dans le cas des données porteuses d’intérêts commerciaux, mais qui peuvent être très utiles par exemple pour la recherche, on laisse au propriétaire des données (souvent les autorités de transport) le soin de moduler leur ouverture.
Certains craignent aussi que des opérateurs comme Google s’emparent de ces données et deviennent des intermédiaires obligés dans l’orientation du client vers tel ou tel mode de transport, comme cela se passe pour les hôtels. Interdire l’accès aux données reste cependant la plus mauvaise des solutions, car de toute façon les smartphones permettent déjà de récupérer beaucoup d’informations. On conseille donc aux transporteurs d’utiliser ces données pour développer leurs propres services. Ainsi, quand des grandes plateformes s’en empareront, elles n’auront pas le monopole des services. La SNCF nous a d’ailleurs suivis, puisqu’elle a annoncé l’ouverture des données de ses services de transports concurrentiels.
In fine, l’ouverture des données sera l’un des meilleurs leviers d’amélioration. Voilà ma recommandation personnelle aux entreprises : n’oubliez pas que les données ont de la valeur et qu’il faut le prendre en compte dans vos modèles économiques.
Je pense qu’on a réussi à décrisper le débat. Le phénomène d’ouverture et de dynamisation de l’innovation autour des données est un pas en avant important. Il y a encore beaucoup de questions à résoudre, notamment pour tirer parti de données hétérogènes, créer des services à forte valeur ajoutée. Dans les laboratoires des écoles de l’Institut Mines-Télécom, des équipes de recherche travaillent sur ce sujet.
*La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 reconnaît à toute personne le droit d’obtenir communication des documents détenus dans le cadre de sa mission de service public par une administration, quels que soient leur forme ou leur support.
Lire le rapport sur l’ouverture des données de transport
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