La biomécanique au service de la santé
Stéphane Avril, chercheur à Mines Saint-Étienne, se définit comme un « biomécanicien » mais aimerait devenir demain « mécanobiologiste », et passer de l’étude des propriétés mécaniques de l’organisme au décryptage de ses mécanismes biologiques, grâce aux outils de l’ingénieur. Plus particulièrement centrés sur l’analyse du comportement des vaisseaux normaux et pathologiques, ses travaux devraient avoir d’importantes retombées thérapeutiques dans de multiples affections vasculaires, et ont donné lieu à plusieurs partenariats industriels.
« À l’origine, les recherches au sein de Mines Saint-Étienne étaient orientées autour de trois activités principales : mécanique et matériaux, fabrication et génie des procédés, performances des entreprises. À la suite notamment des reconversions de l’industrie manufacturière en France, l’idée est venue de fonder un centre de recherches « Ingénierie et santé », qui reprendrait en les déclinant les trois activités principales de l’École mais en les ciblant sur les champs de la biologie et de la médecine », explique Stéphane Avril.
Ce dernier a été recruté en 2008 pour développer l’activité biomécanique en santé, une discipline qui analyse le comportement mécanique (mouvements, déformations) des tissus et organes (circulation sanguine, articulations…). Depuis 2010, il dirige l’ensemble du centre « Ingénierie et santé » de Mines Saint-Étienne, qui rassemble une soixantaine de personnes.
Deux axes : vaisseaux et compression
L’activité de l’équipe biomécanique, dirigée par Stéphane Avril et composée d’une vingtaine d’ingénieurs et de chercheurs, a « une double colonne vertébrale », explique-t-il. « Le premier axe, plus biologique, tend à prédire l’évolution de certaines maladies cardiovasculaires, comme les anévrismes (dilatations) de l’aorte, grâce à l’étude de la résistance de la paroi vasculaire ». Le second se focalise sur l’action thérapeutique des textiles médicaux au sens large, collants de contention, majoritairement, mais aussi genouillères, ceintures lombaires… « Ce second champ a été développé sur demande de certains industriels. En effet, la région représente le plus grand bassin européen de fabrication de ces textiles », complète le chercheur.
« La démarche adoptée consiste à travailler sur une application, par exemple un logiciel, afin de voir si celle-ci peut résoudre un problème médical. Cette recherche translationnelle, motivée par les retombées pratiques, est une des spécialités de l’École. »
Une équipe distinguée pour ses recherches sur le traitement des anévrismes aortiques
Depuis 2008, l’équipe de biomécanique travaille avec les chirurgiens vasculaires de Saint-Étienne. Ceux-ci implantent des endoprothèses (prothèses placées à l’intérieur du vaisseau malade) chez des malades porteurs d’anévrismes aortiques risquant de se rompre, afin d’isoler le sac anévrismal du flux sanguin. Cette opération reconstitue une « paroi » aortique solide.
Stéphane Avril a monté un important programme ayant bénéficié de subventions de l’Agence nationale de la recherche (ANR) dont l’objectif est de mieux adapter les endoprothèses aux caractéristiques de l’anévrisme, grâce à des calculs mécaniques et à l’utilisation de logiciels industriels. « Ces questions, qui pouvaient apparaître appliquées, ont soulevé des problématiques fondamentales reconnues par la communauté internationale », indique le chercheur. L’équipe s’intéresse notamment à des enzymes (métalloprotéases) et à leur concours dans l’affaiblissement puis la dilatation de la paroi artérielle.
En décembre 2014, Pierre Badel, chercheur au sein du laboratoire, se voit accorder par la prestigieuse European Research Council (ERC) une « starting grant » pour ses travaux sur la prévention de la rupture d’anévrisme, dans le cadre du projet AArteMIS (Aneurysmal Arterial Mechanics: Into the Structure). Début 2015, Stéphane Avril est distingué par la même ERC dans la catégorie « consolidator grant » pour le projet BIOLOCHANICS. L’équipe de chercheurs vise, à travers ce projet, à développer une nouvelle approche du traitement de l’anévrisme de l’aorte. Mines Saint-Etienne recevra ainsi 3,5 millions d’euros sur 5 ans pour la recherche sur la rupture d’anévrisme. Par ailleurs, les Stéphanois espèrent identifier, d’ici cinq ans, des marqueurs d’instabilité artérielle avec le concours de sociétés spécialisées en imagerie par résonance magnétique (IRM). A terme, les recherches devraient conduire à travailler, en relation avec l’industrie, sur des médicaments, des thérapies cellulaires régénératrices.
Avec tous ces travaux, on passe de la biomécanique classique (analyse des mouvements et déformations) à la mécanobiologie qui tente de prévoir l’évolution de la microstructure d’un organe, en l’occurrence le vaisseau, compte tenu des contraintes mécaniques exercées sur son environnement. On peut même parler de mécanobiologie cellulaire, dans la mesure où les chercheurs de Mines Saint-Étienne tentent de mieux comprendre les influences des modifications mécaniques sur la machinerie cellulaire elle-même (fabrications protéiques, réactions chimiques…).
Après son arrivée à Mines Saint-Étienne, Stéphane Avril a bénéficié d’un financement de l’ANR, pour repérer grâce à l’IRM ce qui peut conduire des plaques d’athérome formées dans les artères carotidiennes à se rompre chez des malades.
Récemment, les biomécaniciens de l’équipe se sont intéressés aux complications de l’angioplastie coronaire, un geste qui consiste à dilater les artères coronaires du cœur, rétrécies par l’athérosclérose, pour en améliorer l’irrigation. L’une de ces complications, appelée dissection, se produit lorsque la paroi de l’artère coronaire dilatée se clive sur une partie de sa longueur. Grâce à des simulations, les chercheurs stéphanois ont identifié les processus pathologiques en cours, montré que certains de ces phénomènes pourraient être facteurs d’obstruction coronaire secondaire.
Un leader de la compression mécanique médicale
En quelques années, l’équipe de Stéphane Avril est devenue leader européen en biomécanique des tissus mous, « l’une des trois thématiques phares de Mines Saint-Étienne ». Les chercheurs stéphanois sont particulièrement reconnus pour leurs travaux dans le domaine de la compression mécanique médicale. Certaines de ces recherches ont pour but de mieux comprendre les mécanismes de la compression veineuse, associée au port de collants de contention et sont poursuivies en collaboration avec les industriels Sigvaris et Thuasne, spécialisés dans la fabrication de ces textiles. Grâce à une étude récente par échographie d’un jeune doctorant, Pierre-Yves Rohan, en partenariat avec l’entreprise Sigvaris, il a été montré que la compression élastique exerce une pression sur les tissus mous qui tend à vider le sang stagnant dans la microcirculation veineuse. Ce qui expliquerait l’intérêt de la contention sur les veines superficielles variqueuses.
D’autres travaux suggèrent, à partir d’images par résonance magnétique, que l’effet de cette compression sur les veines profondes des jambes, s’exerce davantage par la contraction des muscles des jambes que par la transmission passive des pressions jusqu’à la paroi veineuse elle-même.
Un bon exemple de l’importance de l’ingénierie biomédicale
On le voit, l’activité de Stéphane Avril est une excellente illustration des nombreuses perspectives offertes par le développement des techniques d’ingénierie biomédicale : meilleure compréhension des processus physiologiques et pathologiques, amélioration des traitements.
Forcément multidisciplinaires car à l’interface entre métier de l’ingénieur, profession de santé, développement industriel, la biomécanique et la mécanobiologie devraient voir leurs apports se multiplier dans les années à venir.
Stéphane Avril, une recherche de pointe dédiée à la santé
Âgé de 38 ans, il rejoint Mines-Saint-Etienne en 2008 comme professeur et chercheur. Après une licence de mathématiques et des études d’ingénieur puis de doctorat à Mines Saint-Étienne, il fait le choix d’une carrière de chercheur en sciences de l’ingénieur, d’abord appliquées au domaine des matériaux puis au service de la santé. Au cours de sa thèse de doctorat, il découvre les nouvelles technologies de la photomécanique pour analyser les propriétés des matériaux. Puis il travaille en 2003 à Châlons-en-Champagne au sein du laboratoire de mécanique et fabrication, dirigé par Fabrice Pierron à Arts et Métiers ParisTech, où il développe de nouveaux outils mathématiques pour exploiter les données de la photomécanique. Un séjour d’un an en 2006 dans le laboratoire de Jon Huntley à l’université britannique de Loughborough lui permettra de comprendre l’intérêt des mesures IRM pour analyser les tissus vivants. De mai à août 2014, Stéphane Avril complète sa formation par un séjour sabbatique dans le laboratoire américain de Jay Humphrey à l’université Yale aux États-Unis afin de s’initier à la mécanobiologie. En janvier 2015, il reçoit la prestigieuse bourse de recherche européenne de l’ERC.
Rédaction : Umaps, Corinne Tutin
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