Télévigilance : comment être sûr de détecter de vraies chutes ?
« 50% des interventions au domicile des personnes âgées sont dues à une chute. » Savoir les détecter de manière fiable permettrait aux personnes âgées ou malades de conserver leur autonomie tout en évitant des interventions inutiles et coûteuses. Jean-Louis Baldinger est responsable depuis une dizaine d’années des développements en électronique et traitement du signal embarqués appliqués à la télévigilance à Télécom SudParis. A l’occasion de la Bourse aux technologies (BAT) de l’Institut Mines-Télécom sur le thème de l’e-santé, qui a lieu le 5 mars 2015 à Evry, il présente un dispositif multi-capteurs ambulatoire permettant de détecter les chutes de manière très spécifique.
« Ce que veulent les personnes, c’est ne pas tomber. » Les détecteurs de chutes ne sont donc pas une demande primaire. Ils impliquent d’accepter qu’on est fragile et posent le problème du regard extérieur. Or, selon l’Inpes, la chute est la première cause de décès après 65 ans. « Si vous restez plus d’une heure au sol après une chute, vous risquez une rhabdomyolyse aux points de contact prolongé au sol : une destruction des fibres musculaires. » De plus, le risque de chute est généralement très sensiblement augmenté après une chute. C’est pourquoi en 2002, dans le cadre du projet national ACI-Médiville1, Jean-Louis Baldinger a eu l’idée de développer un terminal portatif et discret pour permettre le maintien à domicile des personnes âgées ou dépendantes. Un prototype pré-industriel de taille réduite et une interface graphique ont ensuite été développés, notamment dans le cadre du projet ANR QuoVADis.
Le système, breveté en 2008, assure le suivi automatique et à distance de leurs paramètres vitaux, recueillis par les cinq capteurs du dispositif — chute, fréquence des mouvements, posture (debout/assis ou allongé), pouls, bouton d’appel. Les données sont transmises toutes les 30 secondes par liaison radio à un ordinateur. En cas de chute, après une phase de validation de 30 secondes, il alerte un centre d’urgence, qui peut réagir de manière plus rapide et efficace. Éventuellement, il peut aussi prévenir un « parrain » susceptible d’intervenir très rapidement, par exemple un voisin. « La fiabilité doit être à la hauteur du coût des effecteurs : SAMU, pompiers. » L’enjeu est donc de mettre au point des détecteurs sensibles et spécifiques.
Valider l’impact
Le capteur de chute détecte l‘accélération de freinage au sol : le seuil de détection est voisin de 2G. « Les situations de la vie courante où l’on détecte une accélération sont souvent des situations de chute. » Cependant, ce n’est pas toujours le cas, c’est pourquoi le capteur de chute, combinant la capture de l’inclinaison selon 4 axes et l’accélérométrie, valide l’impact. Le terminal enregistre donc une impulsion seulement si le plan de sensibilité de l’accéléromètre est normal au sol, et si l’impact a lieu dans la même direction que celle indiquée par la capture d’inclinaison. « Cette fusion à bas niveau entre l’accélération et l’inclinaison confère une spécificité proche de 1 à ce détecteur de chute, plus importante que dans un capteur de chute classique utilisé seul : les faux positifs sont intrinsèquement très rares. »
Quand un impact est validé, une impulsion est fournie par le capteur de chute. Mais le processus de vérification n’est toujours pas terminé : « il ne faut pas faire venir le SAMU si l’utilisateur réussit à se relever. » En échantillonnant l’inclinaison sur 10 périodes de 3 secondes, il est possible de connaître le pourcentage de temps passé debout ou allongé. Si la personne tente de se relever et rechute, le détecteur ne considère pas qu’elle se soit relevée. « Si la personne n’était pas debout plus d’une seconde continûment dans les 3 secondes précédant la chute, le terminal ne la prend pas en compte, idem si la personne était allongée durant les 500 ms avant l’impact. » Dernier système de validation : « toutes les 3 secondes, un buzzer signale à la personne que l’alarme est sur le point d’être transmise, elle peut alors relever le torse pour la désactiver. »
Cette série de verrouillages est le secret de la fiabilité du système développé par Jean-Louis Baldinger et son équipe. Il a été testé en milieu hospitalier, au sein de l’AP-HP2 : « La sensibilité est comparable à la concurrence. En termes de fausses détections, je pense qu’on est meilleurs. » Le détecteur de non-port (wear sensor) est également essentiel : « Si le boitier tombe seul, il ne faut pas déclencher une intervention. » Un système mécanique vérifie donc si le boitier est porté à la ceinture. En cas de problème, enfin, l’utilisateur dispose d’un bouton d’appel.
De la détection des chutes aux symptômes cardiovasculaires
« Le capteur de mouvement est un complément précieux au capteur de chute qui ne détecte pas les chutes « molles », c’est-à-dire à faible cinétique : un affaissement dû à un malaise, par exemple. » Il permet également de détecter une immobilité prolongée, mais aussi une dégradation du dynamisme. Toutes les trente secondes, le capteur envoie des informations par liaison radio sur la fréquence des mouvements, donnant des indications sur le comportement type de l’utilisateur selon les heures. Une diminution de la fréquence des mouvements peut signifier une augmentation de la fatigue, liée par exemple à une dégradation de la santé ou bien à une prise de médicaments mal supportée. « Au bout d’une certain période, les médecins peuvent envisager d’exploiter ces données, par exemple afin d’évaluer l’impact d’un ajustement de traitement. » De plus, une diminution sensible et prolongée de la fréquence des mouvements peut impliquer un risque de chute accru.
L’analyse de tendances longues passe aussi par la surveillance des symptômes cardio-vasculaires. « Une bradycardie ou une syncope entraînent une diminution de l’apport d’oxygène au cerveau et donc un risque de chute. » D’où l’importance du capteur de pouls photopléthysmographique, classiquement composé d’une diode électroluminescente infrarouge et d’un détecteur optique. Lorsque le cœur éjecte le sang (systole) dans les vaisseaux des tissus fins (doigt ou lobe d’oreille), ils gonflent très légèrement. Cette modulation de la longueur du trajet optique entre la diode et le photo-détecteur entraîne une variation de l’intensité lumineuse reçue par ce dernier. On peut donc détecter la fréquence cardiaque par un conditionnement adapté (amplification et filtrages spécifiques) de ce signal, suivi d’un algorithme de débruitage adaptatif3. Cela permet de réduire à environ 5% l’erreur due aux possibles artefacts de mouvement dans la vie courante — traction sur le fil, mouvement de tête, paroles : « ce qui équivaut à l’erreur de mesure de pouls généralement mentionnée pour les auto-tensiomètres de poignet. »
Facilitée par quelques tests automatiques à seuils personnalisables, l’interprétation de ces données permet de détecter de nombreuses situations de détresse et éventuellement de les prévoir. Jean-Louis Baldinger et son équipe travaillent à optimiser la consommation énergétique du terminal portable, qui dispose actuellement d’une autonomie de deux semaines en utilisation continue. Passif et discret, il pourrait s’intégrer dans un environnement domotique plus global, comportant des capteurs infrarouges, un système de détection des sons anormaux, et éventuellement un robot assurant la levée de doute par la vision et le dialogue, comme cela était le cas pour le projet QuoVADis.
1 ACI : Ateliers et Chantiers d’Insertion
2 Assistance Publique – Hôpitaux de Paris
3 L’adaptation automatique du seuil de discrimination battement / artefact au pouls moyen du patient permet de réduire l’erreur de mesure.
En savoir + sur la Bourse aux technologies de l’Institut Mines-Télécom
En savoir + sur le Laboratoire de Télévigilance pour patients ou personnes à risque à domicile (Département Electronique et Physique) de Télécom SudParis
En savoir + sur le projet ANR QuoVadis.
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