60 millions de tonnes de déchets électroniques par an dans le monde : et si on en parlait ?
Par Cédric Gossart, docteur en sciences politiques et économiques, membre du groupe de recherche KIND de Télécom Ecole de Management et du groupe EcoInfo du CNRS. Il vient de publier « Impacts écologiques des Technologies de l’Information et de la Communication » (EDP Sciences).
Dans le monde, près de 60 millions de tonnes de déchets électroniques sont générées chaque année. L’Union Européenne arrive en tête (12%), juste devant les États-Unis (11%) et la Chine (9%), qui devrait toutefois nous dépasser en 2015 avec 15% des 76 millions de tonnes de déchets électroniques qui seront alors générées dans le monde. Alimentés par une industrie du numérique florissante, ces déchets contiennent de nombreuses substances toxiques qui en font des produits dangereux, qu’il est en principe interdit d’exporter. Mais comme les technologies de l’information et de la communication (TIC) semblent immatérielles et qu’elles sont au cœur de la croissance des économies des pays à haut niveau de revenu, on ne parle guère de leurs impacts écologiques : peu d’informations circulent sur le cycle de vie des TIC, et encore moins sur la collecte et le recyclage des déchets électroniques…
Pour mieux comprendre les enjeux, plongeons un instant dans la boîte noire des TIC…
D’abord, elles coûtent cher à l’environnement : fabriquer une puce électronique de 40 mg nécessite d’user 30 litres d’eau pure soit 750 000 fois sa masse, et de brûler l’équivalent de 800 fois son poids en pétrole. La moitié de la production mondiale du gallium (350 000 dollars la tonne) et de l’indium (métaux précieux) est utilisée pour les TIC, et plus des deux tiers de celle du tantale.
Ensuite, elles sont toxiques : un composant électronique contient des agents de gravure (ammoniac, protoxyde d’azote, chlore, chlorure d’hydrogène, …), des acides (phosphorique, hydrofluorique, nitrique, sulfurique, hydrochlorique, ammoniac, …) et des produits photolithographiques permettant de transférer l’image d’un circuit imprimé vers son support (peroxyde d’hydrogène, acétone, hydroxyde de sodium, …). Ces substances peuvent avoir des effets néfastes sur la santé. On a pu par exemple observer une baisse de la fécondité chez les travailleurs de l’industrie de fabrication des galettes de semi-conducteur.
Aujourd’hui, peu de données fiables existent au niveau international pour mesurer la quantité de déchets produite par les TIC. Nous en sommes donc réduits à faire des estimations sur la base de modèles qui gagnent chaque année en précision. Une chose est certaine : il existe un écart énorme entre la quantité d’équipements électriques et électroniques mis sur le marché et ce qui est collecté et recyclé. En France, le rapport officiel de l’ADEME précise qu’en 2010, 434 000 tonnes de déchets électroniques ont été déclarées collectées (80% seront recyclés), soit une hausse de 10 % sur un an. Mais cela ne représente que 27% du 1,61 million de tonnes produites sur notre marché.
Que deviennent les 83% de déchets électroniques français qui ne sont ni collectés ni recyclés ? Pour donner un ordre de grandeur, on sait que plus de 100 000 tonnes de déchets électroniques ont été exportées officiellement par les pays de l’Union Européenne en 2007… Or, étant donné que nombre de nos déchets électroniques partent dans les pays en développement, ces derniers subissent une double peine : non seulement ils sont du mauvais côté de la fracture numérique, mais ils importent nos déchets numériques dangereux qui détruisent leur santé et leur environnement.
Que faire pour stopper l’hémorragie ? Par « chance », les stocks de déchets électroniques sont aussi de véritables « mines urbaines » car ils contiennent des matériaux valorisables. Par exemple, la concentration en or d’une tonne de téléphones portables est 6 fois plus élevée que celle d’une tonne de minerai d’or. Afin de réduire les composants toxiques et d’optimiser la récupération des matériaux précieux, on peut fabriquer des TIC plus écologiques grâce à l’écoconception, et gérer leur fin de vie de manière plus responsable. Par exemple, on peut exiger que les circuits responsables d’exportation de déchets électroniques soient certifiés par un organisme reconnu tel que e-Stewards, qui est géré par l’ONG Basel Action Network.
Si j’étais médecin au chevet d’une société malade de ses déchets électroniques, je prescrirais une ordonnance écologique à chacun des acteurs qui la composent. Pour les producteurs, je préconiserais tout d’abord de gros efforts de ligne en matière d’écoconception, notamment au niveau des cartes mères qui sont parmi les composants les plus toxiques. Je recommanderais ensuite des exercices quotidiens permettant d’allonger la durée de vie des produits, et l’usage sans modération d’analyses de cycle de vie, que l’on pourrait subventionner pour les PME. Quant aux consommateurs, je leur suggérerais de modérer leur boulimie de consommation et de privilégier l’achat de produits ou de services affichant des labels écologiques reconnus tels que l’écolabel européen ou les labels EPEAT. Mais c’est pour les gouvernements que la pilule serait le plus difficile à avaler : ils ne couperont pas à l’imposition de nouvelles contraintes sur les producteurs à travers l’application zélée des nouvelles directives européennes sur les déchets électroniques et l’écoconception ! Ils devront aussi donner l’exemple à travers des politiques d’achat public exemplaires qui, il faut bien rêver un peu, imposeront des durées minimales de garantie de 10 années.
Cette tribune est parue dans iThink #7, la newsletter recherche de Télécom Ecole de Management.
Retrouvez l’intervention de Cédric Gossart sur France Culture le 26 janvier 2013, dans l’émission Place de la toile en partenariat avec Rue89.
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